« EMPOISONNER LE PATRIARCAT AVEC LE “REGARD FÉMININ” »
par Leah Fay Goldstein
Une collection de courts métrages qui confrontent, exposent et démantèlent le regard masculin à travers une lentille féministe, queer, trans ou « autrement » empathique.
Nous ne pouvons pas toucher au patriarcat avec nos mains. Il n’a pas d’odeur et il n’émet pas de son. Nous ne pouvons pas savoir lorsqu’il est entré dans une pièce avec l’intention d’enlever des pouvoirs, de s’insérer là où il n’a pas besoin d’être ou d’écraser les voix moins audibles en répondant lorsqu’on ne lui a même pas posé de question. La naissance du patriarcat n’a pas été marquée dans l’histoire à une date précise. La société n’a pas changé d’une chose à une autre à la suite d’un seul événement, bien que les religions qui avantagent les hommes et le développement du langage androcentrique n’ont probablement pas aidé les choses. Après tout, en anglais, on parle de « his-story » — l’histoire de lui, plutôt que la mienne, la vôtre ou la leur. Il n’y a pas de conclusions quantifiables ou incontestées, de graphiques ou d’artéfacts qui expliquent l’érection de cette construction sociale. Il n’y a que des statistiques qui démontrent les façons par lesquelles elle échoue à traiter tous les êtres sensibles également.
Pour beaucoup d’entre nous, peu importe l’identité de genre, les effets du patriarcat et du « regard masculin » sont ressentis dans nos corps longtemps avant que nous puissions les nommer ou les comprendre en tant que concepts. J’ai été élevée par des parents qui se sont toujours efforcés de traiter mon frère et moi comme des égaux. J’ai passé mon enfance très privilégiée à danser dans un studio prônant l’image corporelle positive et à créer de l’art les week-ends dans des programmes organisés par des établissements qui étaient assurément matriarcaux et qui acceptaient toutes les personnes. Cette éducation a entraîné une vision du monde particulière. J’ai commencé à m’identifier comme « féministe » avant de savoir comment épeler ce mot.
Lorsque j’ai atteint la puberté et que j’ai commencé à me sentir observée, sexualisée et menacée, j’ai été furieuse à cause du contexte qui était déjà en place autour de moi. Je savais qu’il y avait d’autres façons d’être. C’est probablement ce qui m’a menée à décider d’étudier la danse contemporaine et l’art à l’université. Je me suis retrouvée dans un endroit où je pouvais m’entourer d’une communauté aux vues similaires, formée de personnes féminines et non binaires ou de féministes s’identifiant comme des personnes masculines. Nous étions toutes des artistes émergentes ou établies qui aspiraient à la révolution et à un refuge des normes sociétales traditionnelles.
Au moment où j’ai terminé mes études, j’étais si plongée dans un type précis de confort et de privilège que je n’étais pas consciente du poids de ce pour quoi nous nous battions toutes. Ce n’est que quand j’ai cofondé un groupe et que je suis entrée dans l’industrie musicale que j’ai commencé à faire l’expérience et à comprendre certaines des façons dont les gens sont traités et évalués différemment dans les environnements dominés par les blancs-hétéros-non handicapés-cisgenres-mâles. J’avais eu la chance de passer tant d’années de ma vie à me sentir comme un être humain. Je n’avais pas eu besoin de trop penser aux attentes ou aux suppositions que les gens plaçaient sur moi seulement parce que j’ai des seins. Je n’étais pas habituée à ce qu’on me parle, me traite et me regarde si différemment que les hommes qui m’entourent.
Le terme « regard masculin » (male gaze) a été inventé par la critique de cinéma féministe Laura Mulvey en 1975, qui le définissait comme « la façon dont les arts visuels et la littérature dépeignent le monde et les femmes d’un point de vue masculin, présentant les femmes comme des objets donnant du plaisir aux hommes ». Il est important de souligner que cette lentille est aussi majoritairement blanche, hétérosexuelle, cisgenre et non handicapée. En septembre 2016 au Festival international du film de Toronto, la productrice et réalisatrice Jill Soloway (« Transparent », « I Love Dick ») a livré un discours liminaire explorant la possibilité d’un « regard féminin ». Elle a dit que « le regard féminin cherche à détruire tous les regards; c’est le regard autre, le regard queer, le regard trans, le regard intersectionnel; c’est un non-regard qui émane du centre, non pas d’un triangle, mais d’un cercle. Indivisé. C’est le regard du ressens-avec-moi, le regard de l’être-vu, le regard du je-vous-vois, le regard de la vérité. C’est l’Internet, parce qu’à présent, nous pouvons tous nous parler en même temps. Collaborer. Corroborer. » Elle a suggéré que l’utilisation d’un regard non oppressif et autre, qui est tellement plus que simplement un regard féminin, pourrait permettre un « effort conscient de créer de l’empathie en tant qu’outil politique » et adopter le rôle d’une « manière de créer de l’art sociopolitique et avide de justice ». Elle a décrit ce concept en trois parties : « ressentir-voir », qui explore l’idée de se retrouver dans la peau de la protagoniste et de prioriser l’émotion plutôt que l’action; le « regard regardé », qui nous montre comment on se sent lorsqu’on est l’objet du regard masculin; et « retourner le regard », où les sujets reconnaissent leur conscience d’être regardés et d’avoir été regardés pendant toute leur vie.
La collection de vidéos et de films qui suit, par les artistes Alex Ateah, Francesca Fini, Amy Lockhart, Coral Short, Emily Pelstring, Caroline Monnet et Alysha Seriani, offre une variété d’exemples d’approches artistiques détournant le patriarcat.
le " regard féminin " cherche à détruire tous les regards; c’est le regard " autre ", le regard queer, le regard trans, le regard intersectionnel; c’est un non-regard qui émane du centre, non pas d’un triangle, mais d’un cercle. Indivisé. C’est le regard du " ressens-avec-moi ", le regard de l’être-vu, le regard du je-vous-vois, le regard de la vérité. C’est l’Internet, parce qu’à présent, nous pouvons tous nous parler en même temps.