C’est sa propre histoire, familiale et intime, que Claudie Lévesque évoque dans Ma famille en 17 bobines (2011, F3M), en tissant les archives personnelles de 17 bobines Super 8 : les souvenirs sauvegardés par les archives, et ceux plus secrets, enfouis loin des images familiales. La plus jeune d’une famille québécoise paysanne de 17 enfants, elle invite ses parents et frères et sœurs à raconter leurs souvenirs de Gaëtan, le frère aîné, décédé dans un accident de tracteur. Alors que la mémoire du disparu se dessine à travers le récit polyphonique en voix off, la cinéaste, en quelques phrases qui s’inscrivent discrètement à l’écran, évoque des souvenirs d’enfance tout aussi douloureux, mais plus cachés. Ce qui reste absent des images en Super 8, et ne peut s’exprimer dans les entrevues, demeure comme une tâche confuse (« Je ne me souviens plus de l’âge que j’ai »), mais indélébile dans la mémoire de l’auteur, et hante en pointillé le récit familial. Tandis que les membres de la famille partagent leurs croyances sur l’au-delà, l’un des frères, incroyant, livre sa propre version de la vie après la mort, en lien métaphorique avec la mémoire : « Ce qui fait un peu l’éternité, c’est le souvenir que tu laisses aux autres. Si tu laisses des mauvais souvenirs, ça peut être ça ton purgatoire ».
Né au Vietnam, le cinéaste québécois Khoa Lê s’intéresse à son tour aux questions d’identité, d’hybridation et de mémoire dans son long métrage Bà Nôi (« grand-maman ») (2013, F3M). Un voyage dans son pays d’origine est l’occasion de retrouvailles avec sa grand-mère, dont il est à la fois proche et étranger, et d’une exploration sensorielle et mémorielle de ses racines. Tout comme Onodera, Lê aborde l’identité comme un élément multiple et en mutation. L’imaginaire tient une part importante dans sa quête, qui se révèle moins intellectuelle qu’impressionniste. Avec une approche hybride qui mêle cinéma direct et séquences fictionnelles, le réalisateur crée un univers onirique où les souvenirs du passé et l’expérience présente, le pays de naissance et celui d’adoption, se mêlent en un kaléidoscope d’images, de sons et de sensations. Comme dans le film de Claudie Lévesque, l’environnement familial est hanté par les disparus : le grand-père décédé, qui s’incarne dans une figure fictionnelle de voyageur et fusionne ainsi avec la propre personnalité du cinéaste, mais aussi l’une de ses tantes, évoquée fugacement mais véritable fantôme du film, qui périt noyée dans le naufrage du bateau qui devait à l’origine emmener le jeune Khoa et sa famille au Canada. Nourri de rêves et d’errances, Bà Nôi est un portrait de famille et un autoportrait qui se construit dans les non-dits, les souvenirs flous et les impressions indistinctes.
« Ce qui fait un peu l’éternité, c’est le souvenir que tu laisses aux autres. Si tu laisses des mauvais souvenirs, ça peut être ça ton purgatoire ».