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Ce programme de films #EyesonVU intitulé Body Talk a été sélectionné par la cinéaste Eva Michon qui est basée à Los Angeles. Dans l'entretien suivant avec le réalisateur Kazik Radwanski, Michon discute des différentes approches au processus de cinéma et de la façon dont cela concerne les idées sur le corps.

 

Eva Michon est une réalisatrice primée installée à Los Angeles. Née à Johannesburg, elle a grandi à Toronto, où elle a étudié le cinéma à la prestigieuse Université Ryerson. Elle a d’abord réalisé des vidéoclips et des capsules sur la mode avant d’entreprendre une carrière dans l’industrie cinématographique. Michon a également cofondé Bad Day, un magazine semestriel créatif sur les arts et la culture. Elle vient de lancer son court métrage " Small Fry " au Toronto International Film Festival, et elle œuvre actuellement à son premier long métrage de fiction.

Eva Michon

EVA MICHON
Cinéaste

"Langage corporel"
Entrevue menée par le cinéaste Kazik Radwanski

 

LANGAGE CORPOREL

Eva Michon (EM) : OK, allons-y. Pourquoi ne pas commencer par le film " The Man That Got Away " réalisé par Trevor Anderson?

Kazik Radwanski (KR) : Ça me va. C’est un film remarquable!

EM : Je l’ai vu à Hot Docs il y a plusieurs années.

KR : J’ai rencontré Trevor, le réalisateur, à la Berlinale voilà quelques années. On était les deux seuls Canadiens à y assister.

EM : J’ai entendu que vous aviez essayé d’entrer à Bergheim et qu’on ne vous avait pas laissé faire.

KR : C’est vrai! Trevor a essayé de passer avec son accréditation de la Berlinale et ça n’a impressionné personne. Dans un geste dramatique, il l’a jetée au sol avant de sauter à pieds joints dessus.

EM : Tout un spectacle!

KR : Oui. C’est génial de le voir réaliser une comédie musicale puisqu’il est aussi musicien.

EM : Je crois qu’il a une formation en théâtre, peut-être même en théâtre musical. Même la narration de son film, la prononciation de chaque mot, est parfaitement rythmée.

KR : C’est une des caractéristiques de son style, de sa voix. Il incarne le monde du documentaire. Sa voix est si charismatique.

EM : Un Herzog canadien – en version amicale plutôt que sombre. Te souviens-tu du film qu’il a réalisé à l’école de cinéma d’Herzog? Il porte sur un pont d’Edmonton à partir duquel un grand nombre de personnes se suicident. Il finit par lancer sa caméra en bas du pont.

KR : Ce film m’a beaucoup fait penser à Cremaster, particulièrement la séquence au Guggenheim.

EM : Tellement vrai! Le mouvement dans Cremaster est régulier et sinistre – dans cette séquence au Guggenheim, du moins.

KR : The Man That Got Away est brillant! Cette sensation de chute, mais aussi le moment où on voit Judy Garland qui regarde de l’autre côté avec le projecteur.

EM : J’ai déjà documenté ceci et j’aurais aimé que ce soit en ligne pour que je puisse montrer à mon directeur de la photographie ce que je voulais comme atmosphère pour une vidéo que j’ai réalisée. Le ton de l’œuvre est espiègle, puis la fin devient si réaliste.

KR : C’est magnifiquement bien écrit. Si quelqu’un meurt sur la rue, vous fouillez son portefeuille. Imaginez si vous trouviez une note de Judy Garland dans le portefeuille de quelqu’un. Bien sûr que vous la conserveriez. Et les paroles sont superbes.

EM : Il y a un passage qui dit : « this place is so gay but not in a good way ».

KR : C’est épique!

EM : Absolument. Ce film est à la frontière de la fiction et du documentaire, car il porte sur une personne réelle. C’est un peu comme un film biographique. Mon appréciation : 5 étoiles!

C’est une des caractéristiques de son style, de sa voix. Il incarne le monde du documentaire. Sa voix est si charismatique.

KR : En parlant du film de Brett Story intitulé " Clear and No Screws " – as-tu aussi vu le long métrage nommé " The Prison in Twelve Landscapes "?

EM : Non, ça porte sur quoi?

KR : C’est un long métrage par la même réalisatrice. Je crois que ces images de " Clear and No Screws "en font partie. Ce documentaire explore la vie carcérale sous divers angles. À quel point la prison fait partie intégrante de l’Amérique. C’est une étude fascinante, qui divise les prisonniers en fonction de ce qu’ils ont le droit de posséder. 

EM : C’est intéressant de voir qu’une institution comme le système carcéral génère des demandes très spécifiques. Il est paradoxal de démarrer une entreprise pour répondre à ce genre de demandes, à moins d’être touché personnellement. La prison est une immense organisation prise dans l’engrenage de l’exploitation.

KR : Il y a quelque chose d’absurde, d’insensé là-dedans. Comment expliquer qu’une conserve de thon soit plus dangereuse qu’un CD? Ça n’a aucun sens. On ne peut pas dire qu’on ait vraiment à cœur les prisonniers. 

EM : Les prisonniers sont perçus comme des corps ayant besoin d’énergie, et les normes sont créées pour répondre à ce besoin. Cela m’a un peu fait penser au fait de voyager en avion – où il est impossible de transporter des bouteilles, où les chaussures doivent être retirées, etc. Plusieurs entreprises sont devenues très prospères grâce à la vente de produits en format voyage. Vous n’avez qu’à acheter une nouvelle bouteille d’eau après avoir passé la sécurité. J’imagine toujours à quel point c’est néfaste pour l’environnement. L’été dernier, on m’a remis un contenant de miel norvégien lors de mon passage à Oslo. J’ai dû m’en départir au point de contrôle de la sécurité de l’aéroport. Ce film m’a rappelé cet incident. 

KR : J’avais ce canif qui appartenait à mon père; il a toujours fait partie de son trousseau de clés. Une fois, un douanier n’a pas voulu que je l’emporte avec moi. J’ai retiré la lame et j’ai conservé le reste sur mon porte-clés.

C’est intéressant de voir qu’une institution comme le système carcéral génère des demandes très spécifiques. Il est paradoxal de démarrer une entreprise pour répondre à ce genre de demandes, à moins d’être touché personnellement.
Image fixe de "Clear and No Screws", Brett Story, 2015 (CFMDC)

Image fixe de "Clear and No Screws", Brett Story, 2015 (CFMDC)

KR : Sais-tu comment s’est faite l’animation du film " A Matter of Gravity " à Jonathan Amitay?

EM : Quand je l’ai regardé, j’ai pensé que c’était du sable – un morceau de papier noir placé à plat sur lequel on avait fait bouger du sable. C’est carrément génial, car on peut le déplacer indéfiniment et, en bout de ligne, il n'y a pas des millions de morceaux de papier. Mais si tu éternues, c’est fichu. Par contre, je n’ai pas vraiment réfléchi à la raison pour laquelle ils ont choisi le sable comme matière – c’est peut-être en raison de sa fluidité.

KR : Pour moi, le sable évoque l’érosion ou la poussière au vent – l’aspect temporaire ou changeant des choses. À le regarder, j’ai effectivement senti une certaine fluidité. En tant que spectateur, on comprend de quoi il est fait. Les grains concordent avec les scènes de vieillissement.

EM : Bien que le titre soit " A Matter of Gravity " (Une question de gravité), on sent qu’il s’agit également d’une question de perspective. La femme se lève et se sent très mal par rapport à elle-même. L’homme qui l’accompagne lui demande de quoi elle parle et son insécurité s’éclipse quand elle se regarde de nouveau.

KR : C’est bien que ce soit court et direct. Crois-tu que c’est long à animer?

EM : Je ne crois pas que ce soit aussi long que d’autres types de films d’animation. J’ai moi-même vécu ce sentiment d’insécurité par rapport à mon image et à mon corps. Est-ce que les hommes vivent ça aussi? Ça t’est arrivé?

KR : Non.

EM : Ah! Ah!

KR : Je suis sûr que ça arrive à certains hommes, mais moins à ceux de mon âge.

EM : Je suppose que quand les hommes mûrissent, ils vont vers des petites amies plus jeunes et des voitures plus rapides.

La femme se lève et se sent très mal par rapport à elle-même. L’homme qui l’accompagne lui demande de quoi elle parle et son insécurité s’éclipse quand elle se regarde de nouveau.
Image fixe de "A Matter of Gravity", Jonathan Amitay, 1990 (CFMDC)

Image fixe de "A Matter of Gravity", Jonathan Amitay, 1990 (CFMDC)

KR : Le film de Alexi Manis " The Observatory "est une juxtaposition parfaite à " A Matter of Gravity " avec son fond noir, et celui-ci avec son fond blanc. C’est une idée incroyable de faire quelque chose de si simple. Ça fait très intergalactique. 

EM : En effet, c’est très simple, mais ça dégage tout de même un sentiment d’immensité. Ce film a été projeté au $99 No Excuses Film Festival. Crois-tu que sa production a réellement pu coûter 99 $? 

KR : Est-ce que c’est filmé en noir et blanc ou en couleur? Selon moi, ça a été tourné en couleur même si le résultat est monochrome. On peut percevoir des teintes de mauve et de vert, et le générique est en jaune. 

EM : Il y a une teinte rosée. Après le générique, une note manuscrite apparaît pour nommer les constellations : le nom du dessinateur ainsi que les coordonnées et les dates où les images ont été captées.

KR : Je me souviens d’avoir vu ça dans le générique de Leviathan (George P. Cosmatos, 1989), où les poissons y figurent. 

EM : Je ne l’ai pas vu. J’imagine que je devrais voir Leviathan, le film sur la pêche.

KR : C’est une approche très particulière.

Après le générique, une note manuscrite apparaît pour nommer les constellations : le nom du dessinateur ainsi que les coordonnées et les dates où les images ont été captées.
Image fixe de "The Observatory", Alexi Manis, 2004 (CFMDC)

Image fixe de "The Observatory", Alexi Manis, 2004 (CFMDC)

KR : Maintenant, parlons du film " Sissy Boy Slap Party " de Guy Maddin qui fait partie de votre répertoire.

EM : As-tu vu ce film complètement fou?

KR : Oui!

EM : Il devrait y avoir encore plus d’œuvres de Guy Maddin sur VUCAVU; il est ahurissant. L’une des choses que je préfère dans " Sissy Boy Slap Party ", c’est tous les poils dans la lentille. C’est dément! Ça doit être intentionnel. On ne dirait même pas des poils; on dirait plutôt qu’on y a fait pousser du gazon.

KR : Ça dépasse les bornes – tous ces sacres, etc – et les coups semblent tout droits sortis d’un film d’action de Hong Kong. La scène de bataille est complètement absurde.

EM : La façon dont les images sont tournées rappelle Sergein Eisenstein. Le montage a définitivement été fait par ordinateur. J’ai déjà photographié Guy Maddin  pour le magazine Bad Day. Il a été très courtois et aimable – si brillant. C’est un de nos trésors nationaux.

KR : J’adore le fait qu’il continue de réaliser de nombreux courts métrage. La plupart des réalisateurs de longs métrages arrêtent.

Mais il continue. Il me semble que dans l’entrevue pour Bad Day, il mentionnait que les écrivains pouvaient écrire des textes de n’importe quelle longueur et qu’il ne voyait pas pourquoi les réalisateurs ne pourraient pas créer leur propre version d’un poème ou d’une nouvelle.

EM : Je trouve ça vraiment intéressant. Il est vrai que certains récits n’ont pas besoin d’une ou deux heures pour être racontés. Parfois, quelques minutes suffisent. 

... il mentionnait que les écrivains pouvaient écrire des textes de n’importe quelle longueur et qu’il ne voyait pas pourquoi les réalisateurs ne pourraient pas créer leur propre version d’un poème ou d’une nouvelle.

KR : Le dernier film ajouté à votre répertoire est " Brief Encounters & Sustained Engagement " par Freya Björg Olafson. Selon moi, il pourrait être projeté en galerie. N’est-ce pas?

EM : J’en doute. Peut-être pourrait-il être projeté dans une galerie où on peut facilement entrer et sortir. Par contre, il y a une fin bien définie. L’histoire semble aléatoire et, à la fin, l’homme qui reste dit quelque chose comme « Oh, c’est de l’art. Tu gagnes. », puis le film se termine.

KR : Je n’ai jamais utilisé l’application Chatroulette.

EM : Je l’ai essayée à quelques reprises lors de son lancement. C’est quelque chose! J’ai toujours pensé que ce serait super de la mettre à profit. Mais elle n’est jamais devenue aussi populaire que Snapchat.

En théorie, Chatroulette est formidable en ce sens qu’elle offre la possibilité de clavarder au hasard avec des gens de partout dans le monde. Bien entendu, la majorité des conversations finissent par verser dans la pornographie ou l’exhibitionnisme. En ouvrant une session, vous avez 80 % des chances de voir un homme en train de se masturber ou sur le point de le faire.

KR : Dans le film, la vidéo de la fille qui danse est-elle préenregistrée?

EM : Oui. Les réactions semblent diverger en fonction du moment à partir duquel les gens se joignent au clavardage. J’ai essayé Chatroulette; parfois on pense qu’une situation est authentique pour se rendre compte qu’elle a été créée de toutes pièces et qu’il ne s’agit même pas d’une vraie personne. J’aurais sans hésitation passé à la prochaine conversation.

KR : Je m’attendais vraiment à ce que la fille fasse le signe de la paix. J’ai été plutôt déçu que ce soit préenregistré! Mais ça reste fascinant.

EM : Selon moi, on voulait que ce soit évident qu’il s’agissait d’une œuvre d’art. Comment sont-ils parvenus à obtenir une décharge de tous les participants?

KR : C’est une question que je me pose dans le cadre de mon œuvre. Puis, je me dis : « Comment la verraient-ils un jour? » Et s’ils la voyaient, ce serait fascinant! En effet, surtout celui qui est en train de se masturber. Il ne serait probablement pas très heureux de s’y voir.

EM : On ne voit pas son visage.

EM : C’est vrai, mais ça reste une forme d’exhibitionnisme. Ce film m’a véritablement rappelé mon expérience de Chatroulette. Je l’avais oubliée. Je ne pense pas que ça ait été utilisé à son plein potentiel au cinéma.

KR : J’ai vu ce film à Locarno par Eduardo Williams, " The Human Surge ", qui porte sur cinq jeunes gays qui font l’expérience de l’application pour clavarder avec des gens du monde entier. Le réalisateur illustre leur réalité de façon très cinématographique.

EM : Ça semble très cool. Je vais regarder ce film!

KR : J’ai beaucoup apprécié ta sélection et cette expérience!

EM : C’est inspirant de parler de tous ces films extraordinaires.

En théorie, Chatroulette est formidable en ce sens qu’elle offre la possibilité de clavarder au hasard avec des gens de partout dans le monde. Bien entendu, la majorité des conversations finissent par verser dans la pornographie ou l’exhibitionnisme.

Kazik Radwanski

Né à Toronto en 1985, Kazik Radwanski a cofondé la maison de production MDFF en 2008. Pendant trois années consécutives, ses courts métrages ont été projetés au festival compétitif de la Berlinale. En 2012, Radwanski a réalisé " Tower ", son premier long métrage, dont la première mondiale a eu lieu dans le cadre du 65e Festival international du film de Locarno. Ce film a ensuite été diffusé lors de nombreux festivals, notamment le Toronto International Film Festival, le Festival international du film de Vienne et le festival New Directors/ New Films présenté par le MoMA. Plus récemment, la première internationale de son deuxième long métrage, " How Heavy This Hammer ", s’est tenue lors du 66e Festival international du film de Berlin.