EXPOSITION EN LIGNE DU 11 MAI - 5 JUIN 2022

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La réponse d'Emily H, critique d'art inuk, sur les oeuvres de Glenn Gear.



Aninnik (Anirniq) / Breath of life, par Glenn Gear


Fais partie de l’exposition au Centre d’art contemporain d’Ociciwan.
10124 96 St Edmonton, AB
7 mai 2022 au 16 juillet, 2022
EN SAVOIR PLUS:  http://www.ociciwan.ca/aninnik

GLENN GEAR

Essai par Franchesca Hebert-Spence


J’ai eu le plaisir de voir diverses présentations des œuvres animées de Glenn au fil des ans. Nous nous sommes rencontrés en 2018 à Banff, le lieu d’origine des huskies de Glenn. Puis aussi récemment que le printemps dernier, lorsque Ullugialijak (Starry Night) a été projeté sur L’Imagier à Aylmer, Québec, avec vue sur la rivière. Chaque œuvre d’animation entre ces deux moments a toujours été associée conceptuellement à un endroit : un édifice où elle est projetée, une foire artistique, une visite libre, un festival de films, une galerie d’art. Les récits de Glenn s’épanouissent dans la répétition et dans les changements de contexte. Chaque projection explore une nouvelle façon d’aborder les Kimutsik (attelages de chiens), qui demeurent un élément central de l’œuvre de Glenn, sous différentes formes.

Glenn transcende la notion moderniste que l’art doit n’avoir qu’un seul sens; une « bonne réponse » quant à son thème, une « signification » dictée par un « artiste omniscient ». Glenn résiste à cette vision du travail des artistes, se tournant vers une pratique où la réflexion, la curiosité et l’exploration sont au centre de ses histoires communautaires. Je vais lister certaines des versions de Kimutsik, comment ma compréhension a constamment évalué dans chaque espace où l’œuvre a été présentée, et la façon dont ces stratégies se reflètent dans ses œuvres actuelles et à venir.
 

Les récits de Glenn s’épanouissent dans la répétition et dans les changements de contexte.

Image fixe de: Aninnik (Anirniq) | Breath of Life, Glenn Gear, 2022
 

En commençant par la meute courant le long d’un mur à un évènement de portes ouvertes à Banff1, une destination touristique, ainsi qu’un refuge pour les artistes. Quelques activités avec des traîneaux à chiens sont d’ailleurs offertes près de là pour vivre « une expérience purement canadienne ». Peut-être est-ce en effet purement canadien de commercialiser une identité nationale qui s’approprie des éléments de la culture autochtone : le sirop d’érable, le hockey, les traîneaux à chiens. Les activités impliquant ces derniers prennent une autre couleur lorsqu’on lit à propos des massacres de chiens qui ont eu lieu au Nunavut2, au Nunasiuvut (nord du Labrador)3 et au Nunavik (nord du Québec)4 des années 1950 aux années 1970. C’était une tentative de génocide et de diminution de la souveraineté et de l’autosuffisance des Inuits. Ce n’est pas l’unique sujet de Kimutsik, mais lorsque je repense à la première fois où j’ai vu la meute, à Banff, j’ai alors vraiment compris ce qui s’est produit dans l’est de l’Arctique. Possiblement que je devais entendre cette histoire dans cet endroit pour l’assimiler. Comme assinajaq l’a expliqué en entrevue à propos des thèmes de Tillutarniit : « L’histoire est essentielle, car on ne peut pas l’ignorer lorsqu’on tente de comprendre où nous sommes rendus. Il est important de commencer par là, pour avoir les bases avant de se pencher sur ce qui est contemporain. »5


Ainsi, ma relation avec la meute a commencé à Banff, un lieu de contradictions, lors d’une résidence intitulée « Space Between Us », dirigée par Julie Nagam et Johnson Whitera. Les participants étaient des créateurs du Canada et d’Aotearoa, dont plusieurs artistes numériques accompagnés de leur famille. Glenn mentionne souvent que les Kimutsiijut le mènent, comme des esprits — mais je crois que c’est dans ces rassemblements que le travail de Glenn s’épanouit. Par exemple, en 2019, Glenn a participé à Memory Keepers I / Gardiens des mémoires une résidence d’artistes inuits et autochtones à Montréal, organisée par le projet Pilimmaksarniq / Pijariuqsarniq (« Inuit Futures in Arts Leadership »). Les autres artistes incluaient Darcie Bernhardt, Megan Kyak-Monteith, Tom McLeod, Caroline Monnet, Jason Sikoak et Jesse Tungilik, et leurs œuvres finales ont été présentées à l’extérieur de la galerie FOFA lors de la Nuit Blanche de Montréal. Gardiens des mémoires a été la première fois où j’ai associé l’art de Glenn à celui de Jesse Tungilik : la sculpture de Jessie Tungilik à l’intérieur d’une tente de toile créée par Jason Sikoak, avec Kimutsiijut de Glenn derrière, le tout au sein de la cohue générée par la Nuit Blanche. Voici ce dont un espace inuit collaboratif a l’air.

...est-ce en effet purement canadien de commercialiser une identité nationale qui s’approprie des éléments de la culture autochtone : le sirop d’érable, le hockey, les traîneaux à chiens.

Non seulement était-ce la première fois où je voyais l’œuvre de Glenn dans un lieu public, c’était aussi la première fois où je voyais Kimutsiijut interagir avec une surface architecturale. Cette curiosité et la notion de devoir explorer prennent de l’ampleur dans les plus récentes installations de Glenn comme Iluani/Silami (It's full of stars), une animation/murale dans un conteneur, créée en 2021 pour l’exposition inaugurale de INUA à la galerie d’art de Winnipeg - Quamajuq. INUA, The Making of a Sealskin Spacesuit, et Iluani/Silami (It's full of stars) ont marqué de nouveau l’échange entre Jesse Tungilik et Glenn. Glenn a aidé à coudre The Making of a Sealskin Spacesuit de Tungilik, qui était inclus dans la murale de Iluani/Silami montrant un husky en habit d’astronaute, un clin d’œil à sa relation avec Tungilik. Kimutsik plongeait Glenn dans des discussions à propos de l’histoire, de la mémoire et de la résilience, et ces lieux de rencontre avec d’autres artistes autochtones permettaient de réévaluer l’œuvre de Glenn dans le contexte d’un vaste mouvement artistique autochtone. 


La présentation suivante de Kimutsik à laquelle j’ai assisté était à la Toronto Art Fair en 2019 (ce n’était pas moi qui suivais Kimutsik, c’est l’œuvre qui me suivait). La Toronto Art Fair est un autre événement trépidant, semblable à la Nuit Blanche, mais avec une surabondance d’œuvres d’art. C’était la première fois où j’ai vu le traîneau à chiens de Glenn être projeté sur une peau de phoque. Jusque là, Glenn animait laborieusement au fusain la peau de phoque, le perlage et la texture des chiens qui courent, puis projetait l’œuvre sur un mur ou une toile. Il était logique que les chiens ne fassent qu’un avec la surface. C’était également une façon ingénieuse de prendre des installations de projection qui sont habituellement des projets publics pensés pour les galeries monolithiques et d’en faire quelque chose de plus modeste et intime (il suffit d’un projecteur). Ce fut un autre moment décisif dans la pratique de Glenn. 


Il y a des liens entre les phoques, les trous dans la glace et les portails qui sont explorés dans la production culturelle inuite. Je ne connais pas assez le tout pour l’aborder en profondeur dans cet essai, mais quelqu’un de plus féru dans ce domaine pourrait créer une fantastique exposition sur ce sujet. Je peux néanmoins affirmer que les Autochtones perçoivent le temps et l’espace différemment que les Européens. Dans l’essai Aesthetics, Violence, and Indigeneity, Jolene Rickard raconte l’histoire d’un conférencier qui renverse de l’eau pour démontrer la conception du temps chez les Haudenosaunee, expliquant que « l’idée était que le temps en tant que représentation de la réalité est fluide, et non statique ou fixe. Inévitablement, une nouvelle compréhension du temps sera nécessaire afin de comprendre l’art provenant de la philosophie autochtone. »6 Ces portails découlent de la croyance de Glenn que les Kimutsiijut existent dans une autre dimension en tant que chiens fantômes, et qu’ils réapparaissent alors qu’il continue de construire des espaces autour d’eux, agissant comme un médium — à la fois au sens littéral et figuré. Ces peaux de phoque agissent en tant que voiles, ce qui est intéressant, car les peaux de phoque sont soigneusement choisies et rapportées de Terre-Neuve, où Glenn a grandi. Dans Tilllutarniit: History, Land, and Resilience in Inuit Film and Video, Heather Igloliorte suggère : « Peut-être que le cinéma est une façon pour tous les spectateurs d’entrer en contact avec un lieu qu’ils ne visiteront possiblement jamais... Ils ont la chance de faire l’expérience de quelque chose qu’une vaste distance géographique a toujours gardé loin d’eux. »7 En amenant les phoques de sa région d’origine jusqu’à ces espaces artistiques, il offre ce contact avec le territoire avec lequel il est familiarisé, qui sert de point d’ancrage pour ces esprits éphémères.

Peut-être que le cinéma est une façon pour tous les spectateurs d’entrer en contact avec un lieu qu’ils ne visiteront possiblement jamais... Ils ont la chance de faire l’expérience de quelque chose qu’une vaste distance géographique...

Glenn adopte de nouveau cette approche, comme vous pouvez le voir ci-dessus, dans Tuktu/Tuttuk. Les animaux sont plus diversifiés, incluant des animations d’animaux de la région du Nunatsiavut et de la Baie Adlatok — des caribous, des corbeaux, des baleines boréales, des phoques, et plus encore. Mais il y a encore un peu des tout premiers chiens qui courent dans cette nouvelle œuvre. Le fusain utilisé pour animer ces animaux provient de feux de camp de Banff, les mêmes brasiers autour desquels Glenn s’assoyait avec les autres artistes en résidence, racontant et écoutant des histoires. Après quatre ans à suivre les Kimutsiijut, ils ont ramené Glenn chez lui et sont devenus un point de départ pour ses futures explorations des réseaux d’échanges interpersonnels et interspatiaux.8

Sur une plateforme comme VUCAVU, je ne sais pas par qui, quand et où seront lues mes impressions à propos de l’œuvre de Glenn — voici un nouveau portail, une nouvelle capsule de temps, si vous voulez. Je conclus en vous remerciant de vous intéresser au travail de Glenn et d’avoir eu la patience de me laisser ressasser mes souvenirs qui y sont reliés. J’espère que les animations de Glenn deviendront une partie de votre propre imaginaire. 

- Un essai de Franchesca Hebert-Spence
 


DOCUMENTATION

[1]  Un extrait de Kimutsiijut (dog team) de 2021, https://www.youtube.com/watch?v=A1xBBcE15qY
[2]  Emma Tranter, “Canada Apologizes to Qikiqtani Inuit for Sled Dog Killings, Relocations,” Nunatsiaq News, 16 août 2019, https://nunatsiaq.com/stories/article/canada-apologizes-to-qikiqtani-inuit-for-sled-dog-killings-relocations/.
[3]  “Inuit Dog Killings No Conspiracy: Report | CBC News.” CBCnews. CBC/Radio Canada, 20 octobre 2010. https://www.cbc.ca/news/canada/north/inuit-dog-killings-no-conspiracy-report-1.971888.
[4]  « Dog Slaughter. » Makivik Corporation, 16 janvier 2018. https://www.makivik.org/dog-slaughter/ .
[5]  assinajaq (Isabelle-Rose Weetaluktuk), « Tilllutarniit : History, Land, and Resilience in Inuit Film and , » dans Indigenous Art : New Media and the Digital, ed. Julie Nagam et Carla Taunton (Toronto : Public Access, en association avec Intellect Ltd., 2016), pp. 104-109, 105.
[6]  Jolene Rickard, « Aesthetics, Violence, and Indigeneity, » dans Indigenous Art : New Media and the Digital, ed. Heather L. Igloliorte, Julie Nagam, et Carla Taunton (Toronto: Public Access, en association avec Intellect Ltd., 2016), pp. 58-62, 58.
[7]  Heather L. Igloliorte, “Tilllutarniit : History, Land, and Resilience in Inuit Film and ,” dans Indigenous Art: New Media and the Digital, ed. Julie Nagam et Carla Taunton (Toronto : Public Access, en association avec Intellect Ltd., 2016), pp. 104-109, 108.
[8]  Franchesca Hebert-Spence, « Ullugialijak (Starry Night) - Glenn Gear, » Centre d’exposition L’Imagier, 1er mars 2022, https://limagier.qc.ca/ullugialijak-starry-night-glenn-gear/ .
...Le fusain utilisé pour animer ces animaux provient de feux de camp de Banff, les mêmes brasiers autour desquels Glenn s’assoyait avec les autres artistes en résidence, racontant et écoutant des histoires


ABOUT THE ARTIST: GLENN GEAR 

Glenn Gear est un cinéaste et artiste multidisciplinaire indigiqueer de descendance inuite et colonisatrice. Originaire de Corner Brook, Terre-Neuve, avec de la famille au Nunatsiavut, il habite actuellement à Montréal. Sa pratique repose sur une méthodologie de recherche créative et est influencée par le savoir inuit et les connaissances autochtones. Il utilise souvent l’animation, les photos d’archives, la peinture, le perlage, et les matériaux traditionnels tels que la peau de phoque. Ses œuvres ont été présentées dans des expositions à travers le Canada, et ses films ont été projetés dans des festivals à travers le monde.

PROFIL D'ARTISTE : GLENN GEAR
 

À PROPOS DE L’AUTEURE : FRANCHESCA HEBERT- SPENCE

Franchesca Hebert-Spence est une Anishinaabe de Winnipeg, au Manitoba. Sa grand-mère Marion Ida Spence faisait partie de la Première Nation Sagkeeng du lac Winnipeg. Hebert-Spence a travaillé comme productrice culturelle, en recherche et en administration. Elle décrit sa pratique de conservatrice comme « des collations et des conversations ». La fondation de sa pratique créative provient du programme d’arts visuels autochtones Ishkabatens Waasa Gaa Inaabateg de l’université Brandon. Conservatrice indépendante, elle a précédemment été conservatrice adjointe des arts autochtones à la Galerie d’art de l’Alberta, ainsi qu’assistante à la conservation au sein du département d’arts autochtones du Musée des beaux-arts du Canada. Elle a entamé un doctorat en médiation culturelle (culture visuelle) à l’université Carleton et elle s’attardera à la présence de protocoles invité/hôte au sein des pratiques méthodologiques autochtones, en mettant l’accent sur les arts visuels au Canada.  

Cette exposition est présentée par la National Indigenous Media Arts Coalition (NIMAC).

NIMAC remercie le Conseil des Arts du Canada de son soutien.