Séance de zapping : En réaction à la commande du Video Pool Media Arts Centre

Par Madeline Bogoch
Traduit par Kevin Laforest 

« La télévision est la force de la non-histoire », déclarait l’auteur George W.S. Trow dans son célèbre essai « Within the Context of No Context », d’abord publié dans le New Yorker en 1980. Incarnant la structure d’une œuvre poétique, fracturée en fragments plus ou moins autonomes, cet essai livre une évaluation déprimante de l’effet de la télévision sur la culture dans son ensemble. Trow zigzague entre les idées afin de refléter le rythme d’une séance de zapping, alors que l’auteur se désole face au déclin du bien public causé par l’ascension de la télévision. Maintenant que l’internet a remplacé la télé en tant que forme médiatique dominante, le zapping s’est transformé en défilement des médias sociaux et en abandon aux algorithmes des plateformes de visionnement ou d’écoute en continu. Au sein de cette pratique se trouve un élément de chance et d’association libre entre des images disparates qui, ensemble, offrent une lecture du climat culturel souvent perspicace, bien qu’accidentelle. Embrassant le concept de « zapping », le Video Pool Media Arts Centre a commandé des vidéos jouant avec ce concept à 4 artistes.
 

Warren Chan présente son œuvre "Pixels of the Orient" (en anglais seulement)

Dans sa forme initiale, le zapping est endémique à l’âge d’or des réseaux de télévision dans les années 1980 et 1980, avant l’apparition des enregistreurs numériques et de Neflix, qui ont permis aux téléspectateurs de regarder des émissions sur demande. "Pixels of the Orient" de Warren Chan assemble un montage fiévreux d’images trouvées, provenant de vastes archives de représentations des gens de l’Asie de l’Est dans la culture populaire occidentale. La recontextualisation astucieuse et critique de Chan met non seulement en évidence la persistance de ce point de vue orientaliste, mais aussi l’ambivalence de l’artiste par rapport à ces images.

Ayant des affinités avec la thèse de Trow, " I am a program" de pluetoe aborde l’impact démesuré des médias sur nos identités. La narration en voix hors champ de pluetoe est un monologue existentiel à propos de la notion d’identité individuelle, s’interrogeant sur ce qui est inné et ce qui est acquis en relation avec l’environnement médiatique. Alors que des images en basse définition, dont des films amateurs, défilent à l’écran, les propos de pluetoe semblent francs et sincères. À un moment donné, l’artiste souligne l’ironie d’utiliser la vidéo comme outil pour critiquer les médias et la télévision, une sensibilité post-moderne enracinée dans l’histoire de l’art vidéo, qui est ici évoquée élégamment.
 

pluetoe présente son œuvre "I am a program" (en anglais seulement)

Le zapping est défini par l’insatisfaction et une recherche perpétuelle de quelque chose de meilleur. Dans sa forme analogue, ce cycle était restreint à un nombre limité d’options, mais en cette ère numérique, les possibilités sont infinies. Virtual Spectres de Sarah Boo guide le spectateur à travers le néant post-internet, alternant entre des écrans obscurcis qui sont arrangés comme des dominos et voyageant à travers la bouche d’un visage semi-complété alors qu’une narration post-humaine exprime un type de solitude spécifique aux personnes nées en cette époque numérique. Le malaise psychologique et la désincarnation que manifeste Boo dans ces limbes infinis sont étrangement familiers, reflétant de façon troublante une condition foncièrement contemporaine.
 

Sarah Boo présente son œuvre "Virtual Spectres" (en anglais seulement)

Les éléments constituant DUST de Jaye Kovach sont minimes : un paysage distinctif de prairie, occupé par l’artiste, qui creuse dans un champ apparemment aride. Le corps tout comme la terre portent le bagage de la politique et de l’histoire, qui forment un contexte qui n’est jamais loin de la perspective de DUST , que l’artiste décrit comme « une exploration du patrimoine et de ce que cela signifie pour une femme trans queer, butch et en situation de handicap qui vit en tant que colonisatrice blanche sur le territoire du Traité n° 4 ». La motivation initialement inconnue de Kovach est révélée à la mi-parcours de la vidéo, lorsque l’artiste se couche dans le trou, un geste morbide parfaitement accompagné par la trame sonore (gracieuseté du groupe punk de Kovach, Forced Femme)), qui rend l’acte (au sens figuré et au sens propre) de creuser sa propre tombe incroyablement chargé et intense.

- Essai rédigé par Madeline Bogoch