Kazik Radwanski est un cinéaste et un cofondateur de la maison de production MDFF, et ses films ont été projetés à l’échelle nationale et internationale. Il a sélectionné sur VUCAVU cinq œuvres qui traitent de la thématique des "PASSAGES" et des nombreuses formes qu’ils peuvent prendre. Voici une série de questions et réponses sur son processus de sélection menée conjointement avec Eva Michon, réalisatrice et cofondatrice de Bad Day Magazine.
 
Kazik Radwanski

Kazik Radwanski
Cinéaste


"PASSAGES"
Entrevue menée par la cinéaste Eva Michon

Né à Toronto en 1985, Kazik Radwanski a cofondé la maison de production MDFF  en 2008. Pendant trois années consécutives, ses courts métrages ont été projetés au festival compétitif de la Berlinale. En 2012, Radwanski a réalisé Tower, son premier long métrage, dont la première mondiale a eu lieu dans le cadre du 65e Festival international du film de Locarno. Ce film a ensuite été diffusé lors de nombreux festivals, notamment le Toronto International Film Festival (TIFF), le Festival international du film de Vienne et le festival New Directors/ New Films présenté par le MoMA. Plus récemment, la première internationale de son deuxième long métrage, How Heavy This Hammer, s’est tenue lors du 66e Festival international du film de Berlin.

PASSAGES, sélectionné par le cinéaste Kazik Radwanski 

Entrevue menée par la cinéaste, Eva Michon

Eva Michon (EM) : Pourquoi avez-vous sélectionné le film Neither God nor Santa Maria de Samuel M. Delgado et Helena Girón?

Kazik Radwanski (KR): J’adore les couleurs, les pastels atténués, la façon dont c’est développé manuellement sur du 16 mm. Ça fonctionne vraiment bien avec les éléments de sorcellerie – le film est tellement mystérieux. Je l’ai vu au TIFF 2015 et c’était mon court-métrage préféré.

EM: Pourquoi pensez-vous qu’ils ont fait en sorte que la pellicule soit usée et tachée d’eau ?  

KR: Bien, c’est un processus assez courant dans le film expérimental. Parfois, c’est un peu fétichisé, mais avec ce film-ci, ça fonctionne vraiment. Ça va plutôt bien avec la bande-son, non ? On dirait que le film Neither God nor Santa Maria a été trouvé, excavé – comme un artefact étrange. Les couleurs, la brume sur l’île, l’océan dans le brouillard et les couleurs de l’océan, la distorsion dans le film : tout ça se marie…

Les couleurs, la brume sur l’île, l’océan dans le brouillard et les couleurs de l’océan, la distorsion dans le film : tout ça se marie…

EM : Avec le film de Alexandre Larose, BROUILLARD - passage #14 : ce film-ci vous a-t-il donné l’impression d’être sous l’effet de la drogue, en train de regarder un souvenir ?

KR : C’est un film vraiment incroyable, tellement unique. On dirait une peinture. Quand on le regarde, on a l’impression de sentir du pointillisme, avec tous les petits points. Il paraît que Larose a emprunté le même chemin 120 fois, et a superposé les images.

EM : Peut-être que ça crée une impression de rêve ?

KR : Oui, j’ai ressenti ça – c’est comme au ralenti, là où le temps devient différent. Je pense que s’il y avait de l’audio, ça interférerait. Ce film n’en a pas besoin, il est tellement riche qu’on peut simplement le regarder.

Je pense que s’il y avait de l’audio, ça interférerait. Ce film n’en a pas besoin, il est tellement riche qu’on peut simplement le regarder.

EM : Croyez-vous qu’il soit probable de voir la vidéo à Bridget MoserMemory Foam, dans une galerie ?

KR : Je ne sais pas. J’ai déjà vu Moser présenter ses performances en direct une demi-douzaine de fois, alors j’étais content de voir son court-métrage. Je n'avais jamais regardé une de ses vidéos et j'étais contente de la découvrir.

EM : Ça vous rappelle le travail d’Erwin Wurm ?

KR : Ah oui ! Je n’y avais pas pensé. J’ai déjà vu sa vidéo pour les Red Hot Chili Peppers. J’aime beaucoup la façon dont Bridget travaille avec différents matériaux. Memory Foam est un excellent titre aussi. J’aime les multiples niveaux de signification de ses performances et l'auto-parodie de son processus. 

J’aime les multiples niveaux de signification de ses performances et l'auto-parodie de son processus.

EM : Alors, parlez-moi du film de Chris Chan Fui Chong nommé Kolam (Pool). Je présume que vous l’avez vu au TIFF ?

KR : Non ! Il a joué l’année avant que mon film Princess Margaret Blvd. (2008) ne soit au TIFF, et gagne. Kolam (Pool) était vraiment important pour moi. Toute cette vague de cinéastes que j’aime qui vivaient à Toronto ou qui y étudiaient, mais qui venaient d’ailleurs (de la Chine, du Mexique et d’autres pays) et qui faisaient des films canadiens qui se passent ailleurs. Chris Chan Fui Chong a été le premier que j’ai remarqué parmi ce groupe de réalisateurs. 

Kolam (Pool) est un film magnifique. Il a réalisé un autre film qui s’appelle Block B. Il est plus formel, on dirait presque un film de Michael Snow, il porte sur son immeuble d’habitation en Malaisie. Ça ressemble un peu à un film fixe, et c’est un plan unique, en accéléré, de différentes personnes sur des balcons, et il parle aux gens par l’entremise de divers événements. Il a aussi réalisé un long-métrage intitulé Karaoke, qui a été présenté au Festival de Cannes, et qui contient un tas de scènes tournées dans des bars à karaoké, avec une très belle interaction entre les sous-titres et les paroles de karaoké.

Toute cette vague de cinéastes que j’aime qui vivaient à Toronto ou qui y étudiaient, mais qui venaient d’ailleurs (de la Chine, du Mexique et d’autres pays) et qui faisaient des films canadiens qui se passent ailleurs. Chris Chan Fui Chong a été le premier que j’ai remarqué parmi ce groupe de réalisateurs.
Image fixe de "Kolam (Pool), Chris Chan Fui Chong, 2007 (CFMDC)

Image fixe de Kolam (Pool), Chris Chan Fui Chong, 2007 (CFMDC)

EM : Le film de Martha DavisPATH, porte sur une femme qui trace un itinéraire, puis qui se promène dans des quartiers et note ce qu’elle voit. Je croyais qu’il s’agissait d’un exercice presque scientifique sur le fait de «s’arrêter pour admirer le paysage».  

KR : J’ai trouvé ça tellement captivant à regarder, les séquences étaient vraiment incroyables. Je pense qu’il a été fait en 1987, alors j’aurais eu 2 ans. Je me suis senti très nostalgique en le regardant. J’avais l’impression de voir des demi-souvenirs, ou de revoir des photos de famille. Il y a une scène où ils passent devant un chantier de construction, ou une ruelle où des gens travaillent, et il y a une vieille clôture, et il y a un gars qui répare une cheminée qui fait un signe de la main. C’était tellement incroyable à voir.

EM : Ce film donne l’impression d’être une capsule témoin. J’observe une thématique de la mémoire à travers votre collection. Pensez-vous que lorsque les gens regarderont vos films dans vingt ou trente ans, ils auront cette même réaction nostalgique ?

KR : Oui, absolument. Je veux que mes films soient un peu désarmants, qu’ils nous permettent de prendre conscience que l’esthétique du film n’est pas complètement mienne, que nous nous retrouvons dans des lieux habités, avec de véritables personnes. Mon travail comprend beaucoup de plans rapprochés, il est toujours un peu gauche, un peu trop proche et imparfait.

Je me suis senti très nostalgique en le regardant. J’avais l’impression de voir des demi-souvenirs, ou de revoir des photos de famille.
Image fixe de "PATH", Martha Davis, 1987 (CFMDC)

Image fixe de PATH, Martha Davis, 1987 (CFMDC)

Eva Michon est une réalisatrice primée installée à Los Angeles. Née à Johannesburg, elle a grandi à Toronto, où elle a étudié le cinéma à la prestigieuse Université Ryerson. Elle a d’abord réalisé des vidéoclips et des capsules sur la mode avant d’entreprendre une carrière dans l’industrie cinématographique. Michon a également cofondé Bad Day, un magazine semestriel créatif sur les arts et la culture. Elle vient de lancer son court métrage Small Fry au Toronto International Film Festival, et elle œuvre actuellement à son premier long métrage de fiction.