DW : « A Common Experience », je crois que c’est le film le plus difficile à regarder. Y a-t-il des expériences de pensionnat dans votre famille?
IK : Eh bien, nous sommes seulement deux générations à Winnipeg. Alors pas directement, pas ma mère, mais j’ai des grands-parents qui y ont été — dans la mesure où, jusqu’à leur mort, ils appelaient ça l’Académie.
DW : Oh, wow…
IK : Dans ma famille, il y avait une grande incompréhension de ce qu’était un « pensionnat », mais les effets secondaires se sont assurément transmis. Comme les effets intergénérationnels de l’alcoolisme et de l’abus et de ces sortes de choses. Ma famille n’y a pas échappé. Je pense que parce que cela a affecté autant de générations, c’est quelque chose qui touche mon cœur non seulement par rapport aux membres de ma famille, mais par rapport aux membres de ma communauté en général. Je pense que ces expériences sont bien réelles pour tous les autochtones en Amérique du Nord. Je ne crois pas qu’aucun de nous n’ait échappé soit à l’expérience directe ou à ses retombées.
Ça a été très dur de regarder « A Common Experience ». Je considère que toute conversation à propos des agressions sexuelles ou — pour revenir au corps — de ne pas avoir le contrôle de notre corps et de ne pas en être maître, ou que d’autres personnes se sentent en droit d’utiliser notre corps, parce que nous sommes des « objets » — nous avons été classés ainsi, comme des objets... C’est comme s’il y avait une dissociation entre notre esprit et notre cœur.
Lorsque je regarde des œuvres comme ça, je les ressens jusque dans mes os. Autant je ne veux pas voir ça, autant je veux dire : « Non! Ce n’est pas une réalité. Ce n’est pas arrivé… » Mais je sais que c’est vraiment arrivé. Ça fait partie de ma famille et ça fait partie de la famille de tout le monde, et c’est important de donner un espace à ces histoires, afin qu’elles fassent partie de nos discussions. C’est toute la discussion qui entoure la réconciliation et la nécessité d’être « inconfortable ». C’est impossible de guérir sans que ça fasse mal.
DW : Nous ne pouvons pas éviter le mot « réconciliation », car c’est tellement un mot à la mode en ce moment. Ça semble inspirer beaucoup de programmations et de réflexions. Voyez-vous ces films comme un type de processus de réconciliation?
IK : Absolument. C’est comme : le jeu est terminé. Nous savons quelles sont nos histoires. Nous comprenons ce qui est arrivé. Partager ces histoires est thérapeutique; c’est important de ne plus garder ces choses enfouies à l’intérieur. En même temps, pour qu’une réconciliation puisse vraiment se produire, il faut que les gens écoutent et participent à ces histoires, en plus que nous les partagions.
Mes sélections ici font absolument partie de la réconciliation — dans la mesure où, de l’autre côté, il y a une écoute active. C’est la première étape, selon moi : les gens doivent mettre leur sensibilité de côté afin d’écouter. Moi-même, j’ai eu cette réaction en regardant « A Common Experience », où je me suis dit : « Oh mon dieu, c’est si horrible et désagréable et épouvantable et… », toutes ces choses terribles. Ma réaction était à cause des personnes que je connais à qui c’est arrivé. Mais le fait que j’aie cette réaction ne veut pas dire que je devrais l’arrêter et ne pas écouter. Je dois écouter. Nous devons tous écouter. Pour moi, c’est la chose la plus importante.
Vous savez, créer de l’art est l’étape un. Les gens qui sont inconfortables en l’écoutant, c’est l’étape deux.
... Je dois écouter. Nous devons tous écouter. Pour moi, c’est la chose la plus importante.
Vous savez, créer de l’art est l’étape un. Les gens qui sont inconfortables en l’écoutant, c’est l’étape deux.