SS : Dès un jeune âge, tu es parti à l’extérieur du Canada. Je serais curieux de savoir comment ça a influencé ta façon de voir ta communauté, ton identité.
CM : Oui, dès un jeune âge, j’ai grandi dans la culture française parce que je suis allée dans un lycée français donc déjà tout le côté français avait une grande place. Par exemple, dans la famille de ma mère qui est plus anglophone, je savais que j’appartenais plus à quelque chose de francophone que d’anglophone en partant parce que ma mère ne nous a pas appris l’anglais quand on était jeune donc ça a créé des tensions peut-être à ce niveau-là. Aussi, en grandissant au Québec, vu que je passais beaucoup de temps en Europe, il y avait un sentiment d’appartenance en sachant que je n’étais pas complètement Québécoise non plus. Il y avait tout le côté très européen et puis toute l’idée de la communauté autochtone aussi. Quand on ramène tout ça, ça crée des tensions dans toutes ces différentes communautés et des sentiments d’appartenance que je trouve super intéressants. J’adore cette complexité-là.
SS : J’ai pu observer beaucoup de rapprochements entre ton film expérimental Gephyrophobia et le documentaire de Jacquelyn Hébert Francophone-hybride, qui adresse des questions autour de l’identité, du bilinguisme, des dualités linguistiques. Un sujet dans le film de Hébert se fait demander “Dans quelle langue tu rêves ? ” En tant que personne bilingue, je me fais souvent poser cette question, comme si elle révélerait ma vraie identité ou mon authenticité, mais en fait je rêve dans plusieurs langues, même celles que je ne connais pas. Donc, une question un peu rhétorique, un peu drôle : dans quelle langue aimes-tu rêver ?
CM : Haha... je n’ai aucune idée ! Mes rêves à moi sont sans dialogue, je pense. Je rêve en images souvent, et il y a peut-être de la musique. Un peu comme mes films, il n’y a pas beaucoup de dialogue dans mes films. Je ne sais pas...
Mais le film de Jacquelyn Hébert, je trouve ça intéressant parce que je connais Saint-Boniface et puis je suis allée vivre à Winnipeg. Je trouvais ça tellement intéressant cette idée d’une rivière qui sépare le quartier francophone du quartier anglophone. Cette séparation physique de l’eau pour faire la séparation entre les francophones et les anglophones. C’est pour ça que j’ai appelé mon film Gephyrophobia, qui veut dire “la peur de traverser les ponts,” parce que cette réalité-là était quasiment présente à Hull/Ottawa. Je la ressens en Outaouais là où j’ai grandi. J’ai grandi à Aylmer, mais tous les jours je traversais le pont pour aller à l’école à Ottawa. Souvent, c’était les francophones qui traversaient de l’autre côté pour aller travailler à Ottawa et peut-être que ça a changé maintenant parce que Hull commence à être super cool... haha. Mais je trouvais que c’était rare d’être capable d’amener les Ontariens de l’autre côté, tu sais ? C’est juste un pont et ça prend cinq minutes le traverser. Ce n’est vraiment pas loin, mais il y a cette barrière physique qui devient un obstacle.
Je trouvais ça important dans ma sélection d’inclure un film francophone qui ne vient pas du Québec. C’est peut-être un documentaire qui est plus traditionnel, mais je trouve que, dans ma sélection en tout cas, c’est lui qui est le plus directement lié au thème que j’ai choisi. La question c’est vraiment « d’essayer de définir une identité » et puis ça, ce n’est pas facile.
C’est des questions que moi, je me fais poser en tant que femme autochtone. On me met souvent dans des boîtes et on essaye de me demander, « Ah, ben c’est quoi l’identité autochtone ? » et puis ça peut être tellement plein de différentes choses. Je trouvais que le film de Jacquelyn faisait ça, essayait de le définir et après, finalement, arriver à la conclusion qu’on ne peut pas vraiment le définir. On peut juste le vivre, on peut juste s’exprimer. Donc pour ça je pense que c’est un film important qui prend de la place dans un paysage cinématographique francophone canadien.
SS : Oui complètement, on en parle souvent, mais continue...
CM : Je trouvais que c’est un lien intéressant quand on parle de la langue francophone et puis de cette « oppression de la langue », comme ce qui s’est passé au Manitoba, mais qui s’est passé en Acadie aussi, en Ontario et toute la francophonie. C’est intéressant cette idée, « de l’oppression » qui se rapproche beaucoup aussi aux peuples autochtones, tu sais l’idée de se battre pour se garder une identité propre. C’est cette identité-là qui contribue aux sentiments d’appartenance, qui contribue à l’appartenance à une culture et à une réalité qui t’appartient.
C’est des questions que moi, je me fais poser en tant que femme autochtone. On me met souvent dans des boîtes et on essaye de me demander, « Ah, ben c’est quoi l’identité autochtone ? » et puis ça peut être tellement plein de différentes choses.