Patrice James est une cinéaste et la directrice générale du Independent Filmmakers’s Co-operative in Ottawa (IFCO). Le texte suivant est un essai à propos de la sélection de films qu’elle a faite sur VUCAVU, d’après un thème multiculturel qu’elle a baptisé IMAGES-D’UNE-NATION : le vrai Nord. La sélection de James se penche sur le concept de « canadienneté » et sur la façon dont cela peut être interprété par à la fois les nouveaux arrivants et les Canadiens.

 

Patrice James, CINÉASTE

"IMAGES-D’UNE-NATION : Le vrai Nord"
Sélection des œuvres et texte écrit par Patrice James

Patrice James détient un baccalauréat en beaux-arts (cinéma) de l’université Carleton. Elle est actuellement directrice générale du Independent Filmmakers Co-operative of Ottawa Inc. (IFCO). Elle est également cinéaste active, ayant travaillé sur environ huit films à ce jour. James contribue à la vie culturelle d’Ottawa depuis près de 20 ans en tant que promotrice des arts médiatiques, à la fois localement et à l’échelle nationale. Elle siège actuellement au conseil d’administration de l’Alliance des arts médiatiques indépendants (AAMI) ainsi qu’à celui du Réseau d’arts médiatiques de l’Ontario (RAMO). En 2012, Patrice James a été une des trois finalistes en lice pour le plus important prix artistique à Ottawa, le prix Victor Tolgesy, qui est remis annuellement à un individu contribuant de façon importante à la vie culturelle d’Ottawa. Elle continue de vivre et travailler à Ottawa.

IMAGES-D’UNE-NATION : le vrai Nord

J’étais très excitée lorsqu’on m’a approchée pour créer une sélection de films pour VUCAVU; des films qui, selon moi, offriraient une appréciation plus authentique de l’expérience « canadienne » pour les nombreux d’entre nous qui sommes « autres ».

Je suis moi-même une citoyenne canadienne naturalisée, ayant immigré au Canada il y a près de 29 ans. Je me souviens de mon arrivée à Ottawa en 1988.  gée d’environ 16 ans, je ne comprenais pas vraiment ni la société ni la culture canadienne. Après tout, c’était la décision de ma mère de venir vivre ici. Les seules images que j’avais du Canada étaient celles de ces hommes blancs sur des chevaux qui portaient des chapeaux à forme étrange (les quatre-bosses de la police montée), des castors (de gros rongeurs principalement nocturnes et semi-aquatiques) et des épisodes de The Beachcombers et Le Vagabond. Je préférais cette dernière série à Lassie, en passant. Le Vagabond avait besoin de beaucoup moins de validation que Lassie, et j’appréciais son autonomie. Je n’ai réalisé que bien plus tard qu’autant historiquement que culturellement, socialement et linguistiquement, le Canada était diversifié. Je ne réalisais pas initialement que le Canada est vraiment un pays formé par des immigrants, où coexistent de nombreuses voix et expériences. Le Canada n’est pas une nation homogène; ses habitants sont aussi contrastés que ses paysages.

Je suis convaincue que le Canada est un des meilleurs pays au monde, et je suis certaine que beaucoup de nouveaux arrivants partagent cette perception. Je suis toutefois consciente que comme moi, beaucoup de nouveaux arrivants n’ont aucune « image » claire du Canada. Ils imaginent peut-être que le Canada ne contient que des ours polaires, des villes ennuyantes et de longs hivers glaciaux. Ils croient peut-être également que le Canada n’est habité que par des gens d’origine européenne. J’ai voulu créer une liste de lecture sur VUCAVU permettant aux nouveaux arrivants d’avoir une vision plus claire du vrai Nord

C’est pourquoi j’ai choisi le court métrage de docufiction expérimentale Whitewash de Nadine Valcin, qui met en lumière un aspect peu connu de l’histoire de bienfaisance douteuse du Canada. Cette œuvre doucement poétique dépeint l’histoire de l’esclavage sur l’Île-du-Prince-Édouard, richement racontée en voix hors champ alors qu’on voit les corps et les visages de neuf générations de descendantes féminines. « Le film décrit comment les descendantes se sont assimilées dans la population générale jusqu’à devenir quasi invisibles et comment ce processus reflète l’amnésie collective à propos de l’histoire de l’esclavage au Canada. » (Nadine Valcin, Vimeo).

Je n’ai réalisé que bien plus tard qu’autant historiquement que culturellement, socialement et linguistiquement, le Canada était diversifié. Je ne réalisais pas initialement que le Canada est vraiment un pays formé par des immigrants, où coexistent de nombreuses voix et expériences.
Image fixe de "Legend of the Storm", Roxann Whitebean

Image fixe de "Legend of the Storm", Roxann Whitebean, 2015, Winnipeg Film Group

Je n’ai pas réalisé que les corps, les vies et les histoires des autochtones étaient absents de ma compréhension de la société canadienne jusqu’à ce que j’aille à l’université et que je suive un cours sur les droits de l’homme. C’est pour cette raison que je considérais essentiel d’inclure Legend of the Storm dans ma liste de lecture, afin de présenter un portrait relativement sans fard de l’expérience vécue par certaines des premières nations du Canada.

Réalisé par Roxann Whitebean, Legend of the Storm est un court métrage de fiction narrative qui dépeint le passage à l’âge adulte d’une jeune fille mohawk, qui apprend comment s’endurcir alors que sa communauté devient soudainement la cible de violence inattendue. Cet émouvant film souligne la brévité de l’innocence. Commençant par une magnifique célébration d’anniversaire avec une famille et des amis, le film se transforme abruptement en situation inexplicablement sombre et non festive. Les petites filles doivent demeurer à l’intérieur, alors qu’elles déambulaient librement auparavant. Des coups de feu se font entendre. Les parents s’efforcent de conserver un air forcé de normalité, même s’ils savent que leur communauté sera à jamais affectée, changée. Oui, le Canada aussi a une histoire de « guerre ».
 

Le film suivant, Traces of Absence de la cinéaste Tamara Vukov, a trouvé un fort écho chez moi. Les thèmes de « déplacement culturel, assimilation et mémoire » explorés dans Traces Of Absence me sont apparus très familiers. Ce superbe court métrage en super 8 utilise des peintures, des prises de vue réelles, des photographies et des images de films amateurs, qui sont reliées par une narration introspective en voix hors champ et une envoûtante trame sonore mélodique. Ce film évoque énormément de nostalgie pour des lieux, des personnes et des événements passés. C’est un excellent exemple de la façon dont les « expériences communes » transcendent les repères sociaux culturels et géographiques.

C’est un excellent exemple de la façon dont les « expériences communes » transcendent les repères sociaux culturels et géographiques.
Still image from "Taxi pour Deux", Dan Popa, 2012, Les Films du 3 Mars

Image fixe de "Taxi pour Deux", Dan Popa, 2012, Les Films du 3 Mars

J’ai ensuite découvert un autre bijou en super 8 intitulé Little Portugal. Ce court métrage créé par Pedro Ferreira confirme une croyance qu’ont beaucoup de gens, soit que le Canada, à Toronto et ailleurs, est éminemment « multiculturel ». Little Portugal amène le spectateur visiter le pittoresque quartier du « petit Portugal » situé sur la rue Dundas West à Toronto. Alors que la caméra traverse le voisinage, jetant un coup d’œil aux vies de ses habitants, de ses commerçants et des passants, nous sommes guidés pas une piste audio assez curieuse où l’on entend un véritable enregistrement d’un fonctionnaire d’Immigration et citoyenneté Canada qui récite des informations sur la façon d’acquérir un permis de travail canadien. 

Puisque nous venons de visiter une ville canadienne bien connue, continuons, d’accord? Le joliment filmé documentaire expérimental Taxi pour Deux de Dan Popa suit deux chauffeurs de taxi de Montréal — Louis Mémeil (Haïti) et Jamel Akkouche (Algérie) alors qu’ils conduisent à travers la ville. Ce film possède tout : humanité, âme, cœur, survie, joie, et une foule d’éléments de la vie tissés à travers sa mise en scène. Les deux hommes partagent des observations brillantes à propos de la nécessité d’apprécier la vie, tout en décrivant les épreuves que comporte le métier qu’ils ont choisi. Le film est visuellement multidimensionnel, comportant des surimpositions qui mêlent la superbe architecture de Montréal à des images de Louis et Jamel qui disent des vérités dans un élégant français. On ressent un sentiment de camaraderie avec ces hommes. Pour moi, leurs histoires et leurs vies sont encore là symboliques d’une expérience humaine commune.

Un autre documentaire éclairant, qui représente selon moi une histoire complètement unique au Canada et à laquelle un public de nouveaux arrivants pourra s’identifier, est Manila Road de Fernando Dalayoan. Dans ce film, la communauté philippine de Winnipeg est en vedette. Le réalisateur utilise de l’animation, des prises de vue réelles, des extraits de films amateurs et des photographies pour esquisser ses propres expériences ainsi que celles de sa famille, d’autres membres de cette communauté et de Philippins nouvellement arrivés dans la ville de Winnipeg. Les Philippins ont contribué de façon importante à la vie culturelle et économique de Winnipeg. Présents de Manila Road à Dr. Jose Rizal Way, les Philippins forment une partie cruciale de la société manitobaine. Bien qu’ils se soient installés à Winnipeg il y a près de 60 ans et qu’ils soient intégrés, il semble que beaucoup de Philippins ne se sont pas encore assimilés. Cela devrait être très inspirant pour les nouveaux arrivants au Canada, car cela signifie qu’il y a un potentiel pour que l’expérience canadienne soit pluraliste. 

Cela devrait être très inspirant pour les nouveaux arrivants au Canada, car cela signifie qu’il y a un potentiel pour que l’expérience canadienne soit pluraliste.
Image fixe de "Manila Road", Fernando Dalayoan

Image fixe de "Manila Road", Fernando Dalayoan, 2012, Video Pool

La sélection finale de ma liste de lecture est Pelmeny, un court métrage documentaire de Walter Dyck. Je dois admettre que j’ai immédiatement été attirée par le titre de ce documentaire, car je trouve que les pelménis sont délicieux! Les pelménis sont un mets sibérien composé de petites pochettes de pâte farcies de viande hachée assaisonnée (bœuf, agneau ou porc), qui sont servies bouillies, frites ou dans une soupe. J’ai découvert ce succulent type de dumplings chez un ami russe et depuis, je suis « accro ». J’ai été enchantée par l’histoire de cette femme de 77 ans, Tamara, de ses amies et de son mari Alexander, et j’étais impatient de la voir farcir la pâte pour les pelménis avec une viande hachée non identifiée. C’est une œuvre réconfortante qui, je le crois profondément, représente le vrai Nord.


Ma liste de lecture est composée de films et de vidéos variés, tous uniques et distincts, mais habités par des réalités et des expériences parallèles. En tant que cinéaste moi-même, je comprends et réalise complètement l’importance de permettre aux gens de voir et d’apprécier les films, les vidéos, les peintures, la musique et l’art en général, qui véhiculent tous une philosophie culturelle. C’est pour cette raison que j’ai été à la fois consciencieuse et méthodique au moment de sélectionner les titres que j’ai inclus sur ma liste de lecture. Je suis heureuse d’avoir eu l’occasion d’accéder à des œuvres d’art médiatiques exceptionnellement éclairantes. Elles devraient être vues par les nouveaux arrivants ainsi que par les « pas-si-nouveaux-arrivants », car je suis certaine qu’il y a beaucoup de Canadiens qui n’ont pas nécessairement été exposés aux véritables images d’une nation ou au vrai Nord. Plus on voit les autres, plus nous pouvons nous comprendre nous-mêmes. Et dans un climat mondial de plus en plus infecté par les discours et les actions xénophobes qui valorisent l’intolérance plutôt que l’acceptation, c’est très important de nous assurer de toujours rechercher les occasions de faire ressortir notre « humanité commune ».

je suis certaine qu’il y a beaucoup de Canadiens qui n’ont pas nécessairement été exposés aux véritables "images d’une nation" ou au "vrai Nord".
Image fixe de "Little Portugal", Pedro Ferreira, 2014, Video Out

Image fixe de "Little Portugal", Pedro Ferreira, 2014, Video Out