Jeremy Laing est un artiste et designer passionné de textiles, de vêtements et de décoration intérieure. Il a sélectionné cinq vidéos, offertes par VUCAVU, qui abordent des questions comme les répétitions, les essais et l’improvisation. Vous trouverez ci-dessous une entrevue menée par la commissaire Shauna Jean Doherty à propos de ses choix et de son processus de sélection.

 
Photo de Jeremy Laing

Sélection des œuvres et réponses par

Jeremy Laing, artiste et designer

Questions par la commissaire Shauna Jean Doherty

 

 

 

Installé à Toronto, au Canada, Jeremy Laing est un artiste et designer surtout connu pour sa collection éponyme de vêtements, qui a pris d’assaut les passerelles new-yorkaises pendant neuf ans, en plus d’être vendue dans le monde entier. Depuis 2014, il œuvre à titre de conseiller en matière de design de textiles, de vêtements et de décoration intérieure. Ses projets actuels comprennent une collaboration pour la création de pyjamas et de peignoirs pour le Fogo Island Inn, des services de consultation pour un intérieur résidentiel, l’acquisition d’œuvres d’art pour un client, la participation au comité d’encans bénéfices du C Magazine, l’organisation de quelques soirées, et des projets personnels sur la synthèse des techniques de touffetage mécanique pour la création de bas-reliefs à partir de fibres.

 

Shauna Jean Doherty (SJD) : Rehearsal de Kim Kielhofner est une collection d’images trouvées ici et là, jumelées à une narration hors champ par Meryl Streep que la réalisatrice s’est appropriée ainsi qu’à une série de phrases et de directives chaotiques qui apparaissent à l’écran. Est-ce que l’usage d’images trouvées rejoint votre propre processus créatif?

Jeremy Laing (JL) : Il s’agit d’images trouvées plutôt que de matériel trouvé; les images étant bien sûr un type de matériel, mais ce que je veux dire, c’est que ce n’est pas du matériel dans le sens de « tissu ». J’ai toujours résisté, et je continue de résister à la culture du tableau d’humeur, préférant l’expérimentation autour du matériel. 

SJD : Êtes-vous parfois surpris par vos propres sources d’inspiration?

JL : Surpris par les sources, non. Mais je suis souvent surpris par le résultat de leur synthèse à travers ma pratique.

SJD : Dans Rehearsal, Memory Foam, Sweaters et You Live and Do Me No Harm, les artistes se positionnent eux-mêmes devant la caméra. Que pensez-vous que ces performances personnelles apportent à ce programme?

JL : Qu’est-ce qui est personnel, qu’est-ce qui est de la performance? Les deux sont-ils la même chose?

SJD : A Performance by Jack Smith de Midi Onodera présente des images documentaires en accéléré d’une performance de 1984. L’œuvre se concentre sur le processus plutôt que sur le produit final. Quelles sont les implications artistiques d’ainsi embrasser la création dans un état inachevé? 

JL : L’implication est simplement que ça vous force probablement à être plus honnête.

SJD : Par leur énergie, toutes ces œuvres semblent embrasser le trajet qui a mené à leur création; ce sont des œuvres exploratoires. Selon vous, qu’est-ce qu’une part de hasard ou d’improvisation ajoute au processus créatif?

JL : Je crois que le hasard et l’improvisation sont des aspects fondateurs du processus créatif; ils englobent peut-être même tout. Une œuvre qui reflète le processus de sa propre création est inévitablement plus intéressante à mes yeux qu’une œuvre qui cherche à le cacher. Je préfère l’art qui est conscient d’avoir encore du chemin à faire plutôt que l’art qui assume qu’il est arrivé à destination. 

Je crois que le hasard et l’improvisation sont des aspects fondateurs du processus créatif...
Image Fixe de "A Performance by Jack Smith", par Midi Odonera (1992)

Image Fixe de "A Performance by Jack Smith", par Midi Odonera (1992)

SJD : Il y a une certaine absurdité présente dans chacune de ces œuvres : les vêtements non fonctionnels dans Sweaters de Chantel Mierau, les directives insensées dans Rehearsal de Kim Kielhofner, l’intermède textuel qui apparaît au milieu de A Performance by Jack Smith (« Jack a manqué son vol partant de New York, car il éliminait tous les angles de son appartement »), l’ésotérisme satirique de Memory Foam de Bridget Moser, l’incarnation étrange des grues que décrit Emma Waltraud Howes dans You Live and Do Me No Harm… Qu’est-ce qui vous a attiré vers ces œuvres qui semblent créer leur propre réalité?

JL : L’absurdité est reliée à la conscience de soi, mais pas à une conscience de soi stricte et rigide où il n’y a pas de place pour le jeu ou les variations. C’est parfois amusant d’être autre chose que soi-même ou du moins, de voir ce que ce serait d’être quelqu’un d’autre. Quand vous essayez une robe, vous ne devenez pas cette robe, mais peut-être qu’elle devient vous.

SJD : L’œuvre de Bridget Moser dans ce programme est la seule vidéo renfermant des dialogues qui sont directement reliés à ce qui s’y passe. Selon moi, Memory Foam propose au spectateur une mentalité qui influence la façon dont j’ai regardé tout le reste des vidéos que vous avez sélectionnées. Pourriez-vous décrire comment vous voyez la vidéo de Moser par rapport aux autres?

JL : L’œuvre de Bridget est en quelque sorte une pierre angulaire, à moins que ça sonne trop « fondamental »? Disons que c’est la légende de la carte qu’est ma sélection. 

SJD : Ce programme commence par une performance très dynamique et rapide, puis se termine par une performance plus minimaliste acoustiquement et visuellement. Que pouvez-vous dire à propos de cet agencement?

JL : L’agencement des vidéos est purement aléatoire; elles ont été ajoutées en ordre, puis il y a eu une série de suppressions, et peut-être aussi que les algorithmes du site ont eu une influence. 

L’absurdité est reliée à la conscience de soi, mais pas à une conscience de soi stricte et rigide où il n’y a pas de place pour le jeu ou les variations.
Image from Rehearsal

Image fixe de Rehearsal, par Kim Kielhofner (2012)

SJD : Toutes les œuvres ont été réalisées par des femmes. Était-ce un choix conscient?
 
JL : Pas au départ, mais vers la moitié du processus, je me suis rendu compte que je me dirigeais vers une sélection entièrement féminine et j’ai volontairement décidé de continuer dans cette voie.

SJD : Plusieurs de ces œuvres dépendent des costumes choisis par les artistes : les plateformes brillantes de Bridget Moser, le déguisement de grue d’Emma Waltraud Howes, l’accoutrement impossible de Chantel Mierau, les habits vêtus lors de la performance théâtrale de Jack Smith… Pouvez-vous commenter le tout de votre point de vue, en tant que membre de l’industrie de la mode?

JL : Je commenterai le tout de mon point de vue en tant que quelqu’un qui est intéressé par le potentiel qu’ont les costumes de contribuer à la création d’un récit, d’un personnage ou d’un point de vue esthétique, autant dans un contexte historique et réaliste que dans le cadre de représentations… 

SJD : Ce programme de vidéos a pour ligne directrice le thème de la répétition. Pouvez-vous préciser les intentions que vous aviez lorsque vous avez entamé votre sélection et vos impressions à propos du programme dans sa forme finale?

JL : Mon approche était très ouverte et improvisée. J’ai choisi des choses qui m’intéressaient, en notant mes tendances pour ensuite les approfondir et assembler le résultat. C’est une approche qui s’apparente possiblement à celle d’un atelier de création, ce qui reflète indéniablement la sélection et ses thèmes. Je tente l’expérience. Ça aussi, c’est une répétition. 
 

 

...de mon point de vue en tant que quelqu’un qui est intéressé par le potentiel qu’ont les costumes de contribuer à la création d’un récit, d’un personnage ou d’un point de vue esthétique...
Image Fixe de Sweaters, par Chantel Mierau (2010)

Image Fixe de Sweaters, par Chantel Mierau (2010)

Recherche et rédaction par Shauna Jean Doherty, conservatrice

Shauna Jean Doherty est coordonnatrice de la programmation à InterAccess de Toronto, en Ontario. Ses principaux intérêts en matière de critique et de conservation sont l’art vidéo et l’histoire sociale des technologies. Depuis 2009, Doherty organise des expositions, des projections vidéo et des événements dans divers lieux commerciaux ou publics et des centres d’artistes autogérés, dont Vtape (Toronto), EMMEDIA (Calgary), The Centre For Art Tapes (Halifax), le Musée des beaux-arts de l’Ontario et FIELD Contemporary (Vancouver).

Elle a rédigé des critiques d’art pour C Magazine, le magazine Canadian Art (en ligne), The Journal of Curatorial Studies, BlackFlash Magazine, Magenta Magazine et Issue Magazine, ainsi que des essais d’expositions pour InterAccess, Hamilton Artists Inc., Xpace Cultural Centre et Ryerson Artspace. Son œuvre écrite a été traduite en français et en russe.