« Le soleil ne ment pas » ("The Sun Does Not Lie") est un programme #EntreVU qui a été créé par l’artiste de l’image en mouvement Leslie Supnet. Dans l’essai qui suit, Supnet décrit le monde à travers des films expérimentaux, documentaires et de fiction qui sont reliés à nos préoccupations environnementales et sociopolitiques actuelles. Le programme de Supnet se penche sur des questions telles que les crises, les guerres, les catastrophes et les changements climatiques. Elle invite le spectateur à regarder ces films et ces vidéos afin de mieux comprendre la complexité des défis auxquels nous faisons face et l’incertitude de notre avenir.

 
 
Leslie Supnet

Leslie Supnet
Cinéaste et artiste de l'image en movement

« Le soleil ne ment pas » 
Essai par Leslie Supnet

Leslie Supnet est une artiste de l’image en mouvement qui utilise l’animation, le matériel trouvé et les pratiques expérimentales sur film et sur vidéo. Son travail a été présenté internationalement dans des festivals de films, des galeries et des microcinémas, notamment au TIFF (Short Cuts Canada), au Festival international du film de Rotterdam, au Festival international d’animation de Melbourne et au Festival international du court métrage d’Oberhausen. Leslie détient une maîtrise en beaux-arts de l’université York de Toronto et elle enseigne l’animation analogique et numérique dans divers centres d’artistes autogérés et organisations à but non lucratif ainsi qu’audépartement des arts et des études permanentes de l’université OCAD.

Le soleil ne ment pas 
par: Leslie Supnet

Au début juin, le leader du plus grand émetteur de gaz à effet de serre au monde s’est retiré de l’Accord de Paris sur le climat, causant une grande déception et beaucoup d’outrage au sein de la communauté internationale. Des émissions sans retenue des États-Unis pourraient potentiellement réchauffer le monde de 0,3 C d’ici 2100, faisant augmenter la température globale au-delà de 2 C, aggravant les déjà dangereuses canicules, la hausse du niveau de la mer, le déplacement de millions de gens, les guerres brutales et la perte des écosystèmes délicats pour toujours. Pour ma sélection #EntreVU, « Le soleil ne ment pas » (The Sun Does Not Lie), j’ai choisi des œuvres expérimentales dans le catalogue de VUCACU qui vont des collages (« found footage ») aux essais cinématographiques qui remettent en question le moment actuel, alors que nous vivons à une époque de catastrophes et de conflits. Alors que se multiplient les angoisses à la suite des apparemment incessantes nouvelles de dévastation et de crise, ces œuvres offrent un objectif prismatique afin de décoder et d’éclairer la vaste gamme d’éléments complexes qui ont influencé l’état de la situation actuelle.

Hypnotisés par la destruction en cours, comment pouvons-nous mieux comprendre notre moment historique en cette époque catastrophique? Le programme commence avec « Un film, réclamé (A Film, Reclaimed) » (2013) de Ana Vaz et Tristan Bera. Bera et Vaz sont des membres fondateurs du collectif COYOTE Collective, qui est décrit comme « un groupe multidisciplinaire travaillant dans les domaines de l’écologie, de l’anthropologie, de l’ethnologie et de la science politique à travers une variété de plateformes transversales. » « Un film, réclamé (A Film, Reclaimed) » est un essai cinématographique qui explore l’incertitude apocalyptique dans la foulée de la crise écologique actuelle, évoquée par un dialogue avec le cinéma populaire qui l’a accompagnée. Les cinéastes ont puisé dans un bassin d’archives de films pertinents tels que le classique du collage avant-gardiste « A Movie » (1958) de Bruce Conner, les films de genre populaires comme « They Live » (1988) et « Blade Runner » (1982), le film de répertoire épique de Herzog « Fitzcarraldo » (1982) et les curiosités cultes à la « Orca » (1977), pour ne nommer que quelques titres. Bera et Vaz tissent une dialectique à propos de la domination de la nature et d’une potentielle transformation politique, le tout étant contextualisé en segments par époques théoriques : Anthropocène, Capitalocène et Chthulucène. La critique de l’image et du son au cinéma reflète la façon dont nous conceptualisons la nature et sa relation avec ces époques proposées. Face à la récurrence historique de catastrophes depuis Hiroshima et Nagasaki, le film suggère que ces termes décrivant des époques devraient demeurer ouverts, afin d’évoquer l’incertitude symptomatique de nos temps modernes. La catastrophe est le langage que parlent les paysages. « Un film, réclamé (A Film, Reclaimed) » nous encourage à réévaluer notre interaction avec la nature de nouvelles façons : à travers la déterritorialisation, la réciprocité, les relations symbiotiques et l’acceptation de la notion que, comme un narrateur le déclare, « Nous sommes la nature ».

La catastrophe est le langage que parlent les paysages. « Un film, réclamé (A Film, Reclaimed) » nous encourage à réévaluer notre interaction avec la nature de nouvelles façons : à travers la déterritorialisation, la réciprocité, les relations symbiotiques et l’acceptation de la notion que, comme un narrateur le déclare, « Nous sommes la nature ».
Image fixe de « Un film, réclamé (A Film, Reclaimed) », Ana Vaz et Tristan Bera, 2015 (CFMDC)

Image fixe de « Un film, réclamé (A Film, Reclaimed) », Ana Vaz et Tristan Bera, 2015 (CFMDC)

Les meilleurs scientifiques et les plus importants stratèges militaires du monde nous avertissent que le réchauffement climatique est la plus grande menace à la sécurité en ce 21e siècle. Comment peut-on conceptualiser une situation aussi majeure et sans précédent? En se concentrant sur cette question de près, « Point of No Return » (2016) de Zachary Finkelstein offre un point de vue alternatif sur le réchauffement climatique par l’entremise d’une abstraction visuelle. En utilisant de la vidéographie microscopique et des objectifs polarisants, des images amplifiées de fragments de glace fondant lentement révèlent un paysage quasi extraterrestre qui s’apparente aux anneaux de Saturne dans la noirceur de l’espace. Finkelstein nous offre un cadre étrange et saisissant afin de refléter notre actuelle crise des changements climatiques. Une tension inconfortable est créée entre l’image et le son, alors que les envoûtants gros plans de glace qui fond se marient aux tonalités sombres de la conception sonore. Une voix féminine forte déclare : « À quel point la glace est-elle une image puissante pour représenter la perte graduelle et dégoulinante? Si solide, puis elle se transforme en eau. Combien de nos émotions sont ainsi glacées comme cette imagerie? » Avec des dialogues dans onze langues différentes, « Point of No Return » établit une relation entre l’échelle mondiale et le microévénement, suscitant de l’angoisse, de la peur et une conscience aiguë du temps irrévocablement perdu. La vision abstraite des changements climatiques présentée par Finkelstein pose des questions éthiques et esthétiques sur la façon dont nous sommes témoins du réchauffement continu de la Terre, souvent hypnotisés et dépassés par la magnitude de cette perte inimaginable.

La vision abstraite des changements climatiques présentée par Finkelstein pose des questions éthiques et esthétiques sur la façon dont nous sommes témoins du réchauffement continu de la Terre, souvent hypnotisés et dépassés par la magnitude de cette perte inimaginable.

Critique hilarante, mordante et unique du film de guerre spectaculaire, « Bring Me The Head of Tim Horton: The Making of Hyena Road » (2015) des réalisateurs Guy Maddin, Evan Johnson et Galen Johnson est un essai cinématographique déguisé en documentaire sur le tournage du drame sur la guerre en Afghanistan du réalisateur et acteur canadien Paul Gross, « Hyena Road »​(2015). « J’ai mis un cheval de Troie à l’intérieur d’un cheval de Troie », explique Maddin, alors qu’il révère la véritable nature de son Making of : une manigance pour faire de l’argent rapidement afin de financer la fin du tournage de son propre projet de film, « The Forbidden Room »​. Maddin, également figurant bénévole jouant un soldat taliban mort, fait preuve de beaucoup d’autodérision charmante dans sa narration, alors qu’il fait entrer en collision de façon formidablement comique et intelligente le documentaire et les espaces cinématographiques fictifs. Lors d’une hallucination provoquée par la chaleur du soleil de Jordanie, Maddin brise la magie du cinéma, utilisant les acteurs et les décors de Gross pour créer son propre « film de guerre ultime; une réplique formellement radicale et caractérielle à l’aventurisme aisément digérable de Paul. » Évoluant dans un cadre dans le cadre, les séquences de guerre deviennent des pantomimes, à la fois comiques et contemplatives. « Les films de guerre sont-ils seulement des funérailles sans corps? » Maddin se demande si les films de guerre peuvent être davantage tenus responsables du véritable coût de la guerre, étant donné que les approximations cinématographiques des morts massives seront toujours des distorsions de la réalité. Entrecroisant la mort tragique du héros canadien du hockey Tim Horton avec l’impression qu’elle a laissée sur Maddin lorsqu’il était un jeune garçon, les cinéastes créent un « choc paradoxal » pour réveiller le spectateur passif et somnolent. Ils entrecoupent les thèmes des films de guerre, du sport et de l’imaginaire collectif canadien afin de fournir des perspectives révélatrices sur le divertissement facile, le patriotisme et les fondements philosophiques de la guerre.

Ils entrecoupent les thèmes des films de guerre, du sport et de l’imaginaire collectif canadien afin de fournir des perspectives révélatrices sur le divertissement facile, le patriotisme et les fondements philosophiques de la guerre.

Confrontant le spectacle de la guerre dans les médias de masse, « In The Absence Of Heroes, Part IV: Warfare/A Case for Context »​ (1984) de l’artiste Jayce Salloum utilise un montage dialectique d’images télévisuelles qu’il s’est approprié afin de critiquer et disséquer les mécanismes complexes par lesquels la guerre est formatée et vendu aux citoyens. Salloum présente une archive soigneusement montée d’images de guerre dans le contexte de la dissémination de masse d’idées romantiques qui permettent à la société d’accepter la violence militarisée. Cette vidéo faisait partie du projet continu 'In the Absence of Heroes' de l’artiste, qui incluait une performance, des programmes de diapositives, et une série de photos d’archives peintes à la main. Réalisé en 1984, ce collage demeure toujours aussi pertinent 33 ans plus tard par ses thèmes fondamentaux. Salloum crée une archive esthétisée d’images tirées de longs métrages, de documentaires, de dessins animés, de matériel éducatif/militaire, et d’extraits audio de monologues patriotiques et héroïques, qu’il contraste avec des entrevues avec un militant grec en exil et un soldat vétéran de Beyrouth. Des thèmes récurrents clairs font surface ici, démêlant la propagande guerrière occidentale, l’exploitation sentimentale qui la nourrit et la caractérisation cyclique de la guerre comme une apparente inévitabilité. Réalisé avant la vaste accessibilité des logiciels de montage vidéo non linéaire, cette œuvre vidéo implacable révèle la normalisation de la guerre à travers une lecture discursive du matériel et du contexte politique dans lequel il a été produit. 

... cette œuvre vidéo implacable révèle la normalisation de la guerre à travers une lecture discursive du matériel et du contexte politique dans lequel il a été produit.

Après un bombardement d’imagerie de guerre télévisée, nous concluons avec « last light »​ (2013) de Ellie Epp, une vidéo qui consiste en une seule prise. Dans cette œuvre méditative, nous observons un coucher de soleil à Borrego Springs, en Californie. Similairement aux premiers films en 16 mm d’Ellie Epp, la durée forme ici un chemin vers une expérience de visionnement plus profonde. Majestueux et sans faille, nos yeux arpentent la surface rocheuse majestueuse et imperturbable, remarquant la douce luminosité chancelante du soleil. Un oiseau traverse l’image, nous rappelant que ce paysage aride est vivant et mortel, comme nous. 

Majestueux et sans faille, nos yeux arpentent la surface rocheuse majestueuse et imperturbable, remarquant la douce luminosité chancelante du soleil.
Image fixe de "last light", Ellie Epp, 2013 (CFMDC)

Image fixe de « last light »​, Ellie Epp, 2013 (CFMDC)