Le programme gratuit suivant, Familles, destins, mensonges et autres expérimentations, a été généreusement sélectionné pour VUCAVU par Fabrice Montal, Programmateur-conservateur - volets québécois, canadiens et international pour la Cinémathèque québécoise depuis 2009. Nous avons demandé à Montal d'examiner des œuvres narratives de notre catalogue et de développer un programme basé sur un thème de son choix. Le texte ci-dessous explique ses cinq choix de films et de vidéos qui explorent les façons compliquées dont nos familles influencent nos vies.


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Au cours de l'année, VUCAVU vous propose des programmes gratuits sélectionnés par divers commissaires invités qui proviennent de diverses disciplines artistiques et d'à travers le Canada. Ils ont tous accordé une attention particulière aux films et vidéos qu'ils ont sélectionnés du catalogue à VUCAVU pour que vous puissiez les regarder en fonction du thème de leur choix. Chaque programme est accompagné d'un texte qui explique leur raisonnement et leurs sélections. Les films et vidéos de chaque programme sont disponibles GRATUITEMENT pour UN MOIS de la date de la sortie du programme. Lorsque la période de visionnement GRATUITE a expiré, vous pouvez louer les films individuellement avec un Compte de location.
SVP, notez que la période de visionnement gratuite de ce programme est terminée. Chacune des vidéos peut maintenant être louées individuellement.

 
Fabrice Montal_photo par Alexis Gagnon

Fabrice Montal 

Programmateur-conservateur 
La Cinémathèque québécoise


"Familles, destins, mensonges et autres expérimentations"
Texte par Fabrice Montal 
 

Fabrice Montal détient une formation universitaire en histoire et en cinéma. Il a œuvré comme programmateur durant 14 ans à Antitube, ainsi que pour le Festival de cinéma des 3 Amériques, deux organismes de diffusion cinématographique de la ville de Québec qu’il a aussi contribué à fonder. Musicien et improvisateur, il fut proche des centres d’artistes Obscure et Avatar. Auteur de nombreux textes en art visuels et en arts médiatiques, il a dirigé l’édition du premier ouvrage consacré au réalisateur Robert Morin, publié par les éditions du Vidéographe en 2002. Depuis 2009, il est programmateur et conservateur à la Cinémathèque québécoise.

Familles, destins, mensonges et autres expérimentations  

par Fabrice Montal
 

La commande était simple, produire un programme raisonné à partir des catalogues de distributeurs indépendants québécois présents sur le site de VUCAVU. L’appel commandait des «narratives», terme trop facilement traduit en français par fiction. En fait, cette commande permettait toute création qui ne relevait pas d’une démarche expérimentale abstraite, d’une manière non restrictive. L’aventure en valait l’expérience tant elle nous apparaissait inusitée. Vu la composition générale des catalogues québécois, la fiction fut vite évacuée. Restaient alors des longs métrages documentaires par dizaines et quelques courts métrages. L’idée volontaire de tisser des liens entre les catalogues ne fut guère aisée à réaliser. Il fallait trouver un thème fédérateur. Parcourant les listes, les contenus offerts par VUCAVU, visionnant quelques titres manqués au moment de leur sortie, peu à peu une idée fit sa place; une idée qui nous permettrait de présenter une suite de films percutants, saisissants, réunis sous l’ombrelle de la banalité en apparence, celle d’un animal à la fois quotidien et expérimental s’il en est un, mais combien riche en narrations : la famille

réunis sous l’ombrelle de la banalité en apparence, celle d’un animal à la fois quotidien et expérimental s’il en est un, mais combien riche en narrations : la famille.

Si nous avons choisi Irene, au cœur de lion de Josephine Mackay , c’est d’abord parce qu’il nous offre de découvrir une personnalité hors du commun, frondeuse et opiniâtre, celle de la grand-mère de la cinéaste. Femme au destin exceptionnel qui traverse le siècle, Irene Kon, fille d’immigrants russes gauchistes ayant fui le totalitarisme a eu une enfance marquée par la pauvreté. Étudiante extrêmement brillante, elle a su gravir les échelons de la société montréalaise jusqu’à être la première femme à diriger un studio de publicité dans les années 1940. Travaillant pour la succursale d’une des plus grandes firmes new-yorkaises de publicité et de marketing le jour, elle militait néanmoins pour les droits syndicaux et le pacifisme le soir. Elle avait entre autres pour amies Madeleine Parent et Léa Roback, deux des figures féminines les plus connues du militantisme syndical au Québec. Cette femme au caractère franc et tranchant qui crève l’écran est présentée sans fioritures par sa petite fille, elle-même fille de la cinéaste Tanya Tree (aussi connue sous le nom de Tanya Ballantyne Tree, l’une des pionnières de Challenge for Change à l’ONF dans les années 1960). MacKay réalise ce qui est son seul long métrage à ce jour. C’est un film créé avec la certitude qu’il fallait sauver quelque chose, ne serait-ce que la mémoire de cette femme exceptionnelle, inconnue, méconnue, qui avait vécu sa vie sans contrainte, n’appartenant à personne, avec un talent pour la liberté affirmé et quelques cigarettes fumées. Parfois le cinéma ne sert uniquement qu’à cela, sans autre prétention. Nous porter à la rencontre d’un être marquant à côté de laquelle nous serions sinon passés outre.

femme exceptionnelle, inconnue, méconnue, qui avait vécu sa vie sans contrainte, n’appartenant à personne, avec un talent pour la liberté affirmé...

Dans Bà Nôi (grand-maman), le documentariste Khoa Lê nous amène également à la rencontre de sa grand-mère. Ce premier long métrage aux allures simplissimes recèle une structure beaucoup plus complexe qu’il n’y parait. Dans ce film Bà Nôi (grand-maman) sont posées directement ou indirectement les questions de l’identité collective au regard de l’identité personnelle, de la tradition versus la complexité du monde actuel, de la nostalgie d’un vieux monde vietnamien superstitieux, où le cours des destinés semble régi par les horoscopes et les jeux de hasard, face au monde virtuel des communications électroniques. Le portrait de sa grand-mère restée au Vietnam est ainsi aussi le pivot autour duquel orbitent les réflexions existentielles de, jeune cinéaste montréalais qui retourne au pays de ses origines et qui voit confronté son identité nord-américaine de jeune adulte à cette culture ancestrale dans tous les sens du terme, à la fois ancienne et basée en grande partie sur le culte des ancêtres. Cette société d’origine, personnifiée par ses cousins et sa grand-mère, ne pourrait comprendre son orientation sexuelle qui, visiblement, n’est pas celle que l’on voudrait lui imposer et ne pourrait pas être vécue avec autant d’insouciance et liberté que la vie montréalaise pourrait lui offrir. Nous sommes ici devant un jeu de faux semblants, où le respect, la distance culturelle et l’amour familial sincère nous invitent à la dissimulation.

Le portrait de sa grand-mère restée au Vietnam est ainsi aussi le pivot autour duquel orbitent les réflexions existentielles de Lê...

Ce jeu de secrets, partagés ou pas, est aussi en question dans le court métrage de Claudie Lévesque, entièrement composé de séquences de films Super 8 produits par sa famille, en 17 tableaux, comme autant de bobines. D’où le titre : Ma famille en 17 bobines. Lévesque nous convie à une projection personnelle où elle oscille entre l’histoire de sa famille à travers le temps, émaillée de prises de vues plus récentes qui nous montrent aussi le quotidien de la vie rurale au Québec durant la seconde moitié du 20e siècle, et une énigme qu’elle dévoile peu à peu. L’apparence trompeuse que nous rapportent les images d’une vie de célébrations conviviales est progressivement démaquillée par l’irruption d’une vérité plus grave dont le secret a été longtemps gardé.

L’apparence trompeuse que nous rapportent les images d’une vie de célébrations conviviales est progressivement démaquillée par l’irruption d’une vérité plus grave...

La famille comme réceptacle des douleurs du monde est aussi au cœur du travail Pinocchio
de la documentariste d’André-Line Beauparlant. La famille comme objet d’art expérimental pourrait être le titre d’un livre que l’on consacrerait à cette série de films qui, depuis Trois princesses pour Roland en 2001, l’occupe constamment. Pour Beauparlant, c’est une quête d’elle-même envers la famille dans laquelle elle est néé et avec laquelle elle a grandi. Sous certains égards, cela est presque thérapeutique. Du moins, la constance et l’obsession envers ce sujet semblent en témoigner. 

Avec Pinocchio, son dernier long métrage à ce jour, elle part à la recherche de son frère Éric qui semble mener diverses existences en Amérique du sud, Brésil, Pérou. Le film débute comme une enquête tumultueuse et nous suivons la cinéaste dans son parcours. Puis, c’est la confrontation lors de laquelle nous en apprendrons à découvrir les destins multiples, réels ou inventés, d’un homme singulier, fraudeur à ses heures, qui réagit à sa manière à un contexte familial déterminé. Comme le dit Beauparlant en décrivant son film dans une entrevue pour le quotidien Huffington Post en 2015 :

« Je crois que c’est une conversation avec Éric qui fuit. Une conversation avec un gars qui ne veut pas que l’on s’approche trop. Mais Éric, il est complètement honnête avec sa façon de vivre, avec son talent de menteur et ses petites magouilles. J’ai parfois l’impression que c’est moi qui ne comprends pas son mode de vie, que lui, il est bien, qu’il est heureux comme il le dit dans le film, qu’il fait sa vie de «bum» à fond. Le film m’a permis d’accepter sa vie sans jugement. » 1

Ici, pour revenir à notre discussion thématique, les voies de la narration explosent d’une manière telle que les décrire serait bafouer le pacte de surprise sur lequel la structure du film est établie. 
 


1 "«Pinocchio» d'André-Line Beauparlant: les mensonges de mon frère (ENTREVUE/VIDÉO)", Ismaël Houdassine, Le Huffington Post Québec, http://quebec.huffingtonpost.ca/2015/12/10/pinocchio-documentaire-video_n_8773934.html

c’est la confrontation lors de laquelle nous en apprendrons à découvrir les destins multiples, réels ou inventés, d’un homme singulier, fraudeur à ses heures,...

La famille de Pinnochio saura faire contraste avec la stridence et la nervosité des Sayed, famille cairote, que nous fait découvrir La nuit, elles dansent d’Isabelle Lavigne et Stéphane Thibault. Le documentaire, tourné au Caire, explore l'univers d'une famille de danseuses orientales égyptiennes, dont le métier se transmet de mère en fille. Tourné juste avant la révolte égyptienne de 2011, leur métier était déjà à l’époque contesté par les Frères musulmans. Le film se déploie avec ce jeu, oscillant constamment entre l’amour et la colère, qui semble intimement lié à une vie contradictoire entre le règne des femmes dans la sphère intime et domestique, parlons d’un véritable matriarcat, où elles exercent d’évidence le pouvoir sur les hommes de leur famille, et ce patriarcat tout puissant dans l’espace public qui les traite tout à la fois avec le mépris et la fascination que leurs danses lascives offertes au regard des mâles assemblés suscitent. Reda, la mère forte en gueule, veille sur ses filles comme une lionne, alors qu’elles exercent la nuit ce métier devenu de plus en plus dangereux. Le film, dénué de tout sentimentalisme, exude cette tension palpable où la survie de cette famille est un jeu dans un monde où la justification de son existence est de plus en plus incertaine. 

entre le règne des femmes dans la sphère intime et domestique, parlons d’un véritable matriarcat, où elles exercent d’évidence le pouvoir sur les hommes de leur famille, et ce patriarcat tout puissant dans l’espace public...